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Bien évidemment les tares irréparables de la sénilité, et les stigmates anatomiques n’avaient pu s’effacer, car l’organisme ne saurait remonter le cours de son évolution. Les phénomènes ne se traduisaient point au dehors par une véritable restauration des formes et des apparences. C’était un rajeunissement tout intérieur, un réveil et un rétablissement des énergies nerveuses et peut-être un arrêt momentané ou un ralentissement de la chute qui emporte l’être vivant sur la pente de la décrépitude. Pour tout dire en un mot, c’était un fait d’excitation nerveuse se traduisant par l’accroissement des forces, par l’impression du bien-être et de la vigueur accrue ; c’était, pour employer le langage médical, un effet d’euphorie et d’invigoration.

Ce récit inattendu fut écouté dans un silence complet, qui traduisait plutôt l’étonnement et le doute, que l’acquiescement. Il n’y avait d’ailleurs, dans les faits annoncés, rien qui pût, a priori, provoquer la contradiction de la part d’hommes versés dans les études physiologiques. Mais pour approuver, il fallait attendre que les faits fussent confirmés et que la relation de cause à effet fût mise hors de doute entre ce « rajeunissement physiologique » et l’injection de liqueur orchitique à laquelle il était attribué.

La Société de Biologie n’est pas un milieu réfractaire aux nouveautés ; c’est au contraire, comme le disait récemment M. Berthelot dans l’éloge académique de Brown-Séquard, « un milieu excellent pour l’étude et la discussion de problèmes naturels ; on y trouve les conditions d’une sincérité et par conséquent d’une certitude plus grande dans les démonstrations, » que cela n’a lieu dans les académies. C’est, en somme, une académie moins solennelle et offrant, dans l’ordre des sciences de la vie, une compétence peut-être plus étendue que son aînée. Brown-Séquard en avait été, avec Claude Bernard, Ch. Robin, Rayer et Berthelot lui-même, l’un des fondateurs. Il en était alors le président ; il s’y trouvait entouré du respect dû à sa laborieuse carrière et des sympathies que lui avaient acquises son obligeance et sa constante bienveillance. L’auditoire était donc bien loin d’être hostile, mais il n’était pas convaincu et ne voulait pas être abusé. Sa froideur et la réserve de son accueil s’expliquaient d’ailleurs par l’enthousiasme excessif de l’orateur ; c’était une attitude de mise en garde. Dans la discussion des vérités scientifiques, l’effet est immanquable : à l’exaltation d’un côté, répond, de l’autre côté, la défiance. L’événement a prouvé d’ailleurs que cette réserve était