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Méditerranée et, pour les accueillir dans toutes les Échelles, ils trouvent des Italiens et des Grecs, les plus vieilles et les plus nombreuses colonies du commerce levantin. Plus lointains, les Autrichiens, les Allemands, les Hollandais, les Belges, unis par des ententes économiques et des combinaisons de tarifs qui font de ces divers peuples un seul marché, sont reliés à la Turquie et par les voies rapides de terre, et par les voies économiques des fleuves et des mers. Tous ces peuples ont, avec toutes les ressources de la stratégie nouvelle, entrepris la conquête commerciale de la contrée où la France et l’Angleterre dominaient seules.

Les marchandises fournies par l’Angleterre et par la France étaient bonnes, mais chères. Or, les populations du Levant, par la race, le climat, l’arbitraire turc, se trouvent impropres à l’activité, sont pauvres ; et, par leur contact avec l’Europe, sont tentées de tous les caprices qui sont devenus pour nous des besoins. C’est donc avec des ressources de pauvres qu’il leur faut satisfaire des désirs de riches. Leurs désirs sont ardens comme leur soleil ; et, comme le soleil, ils caressent la surface des choses. Plus avides que judicieux, ils distinguent mal, sous l’éclat de ce qui brille, la valeur de ce qui dure. Le fatalisme des Musulmans, la vanité des Levantins affaiblissent également en eux la faculté de prévoir : ils sont tout à la joie de la fantaisie aussitôt satisfaite, et de l’effet immédiat à produire. Nos rivaux ont compris que, pour attirer ces chalands à l’imagination gonflée et à la bourse plate, il fallait soigner l’aspect et abaisser le coût des marchandises ; que l’amoindrissement inévitable de la qualité passerait presque inaperçu, en tous cas ne rebuterait point une clientèle peu experte à juger la valeur vraie de la matière et de la main-d’œuvre ; qu’il suffisait de donner aux choses la durée de ses goûts mobiles ; que lui offrir beaucoup d’objets pour peu d’argent, était servir sa secrète préférence, lui laisser, la fantaisie du jour satisfaite, le moyen de satisfaire la fantaisie de demain, et lui permettre, en renouvelant ses achats, de renouveler ses plaisirs. Ceci établi, les observateurs étrangers se sont enquis soigneusement de tout ce qui, formes, dimensions, nuances, paquetage, mode d’envoi, imposé jusque-là par les fournisseurs anglais et français, blessait les habitudes et le goût du Levant. Dès lors, ils ont pu préparer les marchandises les plus aptes, fût-ce par leur infériorité, à trouver une clientèle. Prêtes, il restait à les mettre dans les mains de l’acheteur. Les maisons