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elle a appris, malgré elle, une science que ces peuples regretteront peut-être un jour de lui avoir portée, et elle aussi, les punissant par leur victoire, commence à produire à meilleur compte des marchandises semblables aux leurs. Ils ne trouvent pas encore en Afrique de compensation à ces pertes : bien que ce continent ait cessé d’être inconnu, les contacts entre la civilisation et la race noire sont trop récens pour imposer à celle-ci, avec nos mœurs et nos vices, le besoin de nos produits.

L’Europe, pendant ce temps, se transformait elle-même. Une croissance naturelle grandissait certains peuples, la politique de la France en accroissait artificiellement certains autres. L’Italie et l’Allemagne doivent à cette politique leur fortune présente. Non seulement, comme cela était juste, les États de l’Italie se sont soustraits à la domination de l’Autriche et les peuples de l’Allemagne ont détruit les principautés minuscules qui, enclaves de féodalité dans les unités nationales, morcelaient les groupes de même famille ; mais, malgré la nature et l’histoire, par l’effort de notre diplomatie et de nos armes, toutes les petites patries de l’Italie et de l’Allemagne se sont absorbées en une unité puissante, sous l’hégémonie du Piémont et de la Prusse. Dans cette longue Italie et dans cette vaste Allemagne, la suppression des douanes intérieures, l’importance des travaux publics, l’impulsion de gouvernemens forts, le groupement des capitaux particuliers et la fécondité des races ont préparé à la fois au travail l’outillage, le marché et la clientèle. Comme ces édifices dont tous les matériaux, réunis à pied d’œuvre, restent seulement à assembler, le commerce et l’industrie de ces deux contrées se sont élevés aussitôt. La Belgique et la Suisse, étendant sans cesse le cercle de leur activité, prouvaient qu’un petit territoire peut être un centre considérable de production et de richesse. Les autres petits peuples, échappés à la domination turque, précipitaient leur activité pour regagner les siècles perdus et honorer leur nationalité reconquise. Enfin, avec son geste plus lent d’ours encore engourdi sous la neige, la Russie a commencé à étendre ses bras capables d’une formidable étreinte, et à dresser une stature qui menace d’accabler le monde sous sa masse : elle met en valeur son domaine étendu aux proportions d’un continent, elle en peuple les solitudes, elle en fouille le sol et le sous-sol, elle s’apprête à en exploiter les ressources par une industrie plus dotée de matières premières, plus riche de