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Crète ont mis à l’épreuve la placidité des nerfs germaniques, il a, sans amoindrir ses bons offices par des conseils indiscrets de réformes ou des révoltes niaises d’humanité, pris le parti de la souveraineté musulmane. L’amitié puissante et sans scrupules, que le Turc au XVIe siècle croyait trouver dans la France, apparaît à l’Empire ottoman à l’heure où il désespérait d’un sauveur. De là la gratitude étonnée, l’empressement docile, les faveurs par lesquelles la Porte paie d’un coup les anciens et les nouveaux services de l’Empire germanique à l’Islam. Et l’Allemagne, après avoir, durant le moyen âge, favorisé par son inertie et malgré la France, la durée de la puissance musulmane, semble aujourd’hui recueillir le bénéfice que la France comptait se réserver en nouant au XVIe siècle alliance avec les Turcs.


II

Le second des avantages stipulés par la France, le monopole commercial, n’est pas resté plus intact.

Le droit reconnu à la France en 1535 obligeait toutes les nations qui voulaient trafiquer avec la Turquie à transporter leurs marchandises sous notre pavillon. Ce privilège était surtout onéreux pour les Vénitiens, qui avaient avec le monde musulman les relations d’affaires les plus étendues, les plus anciennes et possédaient la plus importante flotte de commerce. Le Sultan venait de leur déclarer la guerre, et nous avions obtenu, grâce à cela, qu’il fit bon marché de leurs droits. Mais Venise excellait à faire glisser sa fortune au milieu des difficultés, comme ses gondoles dans le dédale de ses canaux. Elle sut bientôt prouver au Turc qu’à la ruiner il perdait lui-même, et qu’il payait, en somme, le bénéfice prélevé par nous sur les transports. Elle recouvra donc le droit de trafic direct et, dès 1581, la troisième capitulation ne maintenait notre privilège que « les Vénitiens en dehors. » La marine anglaise, alors naissante et déjà âpre au gain, commença à paraître dans le Levant ; sa persévérance l’emporta sur nos protestations, et les Turcs eux-mêmes l’aidèrent à éluder la clause protectrice de notre pavillon. À cette nouvelle rivalité Henri IV céda ce qu’il ne pouvait défendre, il se borna à exiger que les Anglais comme les Vénitiens transportassent seulement les produits de leur industrie, sans couvrir de leur bannière les commerces étrangers, et que ceux-ci « dussent toujours naviguer