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rapprochement qui laissait le cœur libre et l’avenir précaire, ils ne songèrent qu’à eux comme la France songeait à elle. Et, les nations étant égales devant l’indifférence musulmane, ils se mirent à les ménager dans la mesure où ils y avaient intérêt, et appuyèrent sur plusieurs, sans l’attacher à aucune, l’équilibre instable de leur destin.

Or, nos luîtes pour la domination, qui nous rendaient nécessaire la paix avec l’Islam, avaient précisément donné l’essor à des puissances nouvelles, et capables de balancer notre crédit auprès des Musulmans. Les conflits entre les grandes puissances maritimes du XVIe siècle, la France, l’Italie et l’Espagne, avaient affaibli leurs flottes, leur commerce, attiré leur énergie vers la guerre terrestre ; et l’Angleterre avait occupé sans obstacle les mers comme une demeure vide. Les guerres contre l’Autriche, au XVIIe et au XVIIIe siècle, nous forçaient à soulever contre son hégémonie le nord de l’Allemagne, à favoriser les accroissemens de la Prusse, tandis que l’Autriche appelait à son aide et introduisait dans les affaires de l’Europe, la Russie encore asiatique. Même après Frédéric, la Prusse, sans marine et trop éloignée des Turcs, n’existe pas encore pour eux ; mais l’Angleterre, par ses navires, est présente sur toutes les côtes de l’Islam, et la Russie pèse sur les frontières terrestres de l’Empire turc. Ces deux nations peuvent perpétuellement ruiner son commerce, envahir son sol. Il les ménage donc, d’autant plus qu’elles deviennent plus fortes, et le crédit d’abord acquis à la France diminue de ce qui est accordé à ces deux puissances.

Au moment où finit l’ancien régime, la politique inaugurée avec la Renaissance n’a pas mieux établi notre primauté sur les peuples chrétiens que sur les Musulmans. Nous n’avons plus rien à craindre de l’Italie, de l’Espagne, ni de l’Autriche : mais la Russie, la Prusse et l’Angleterre, sont-elles moins avides et redoutables ? Notre politique a abaissé les nations catholiques, elle a fait ou permis l’élévation des nations orthodoxes ou protestantes. Elle a été assez musulmane pour que l’Autriche ait dû appeler contre l’Islam le secours de la Russie orthodoxe. Elle a été assez catholique pour que l’Angleterre et la Prusse, favorisées d’abord par nous contre l’Autriche, se soient déclarées contre nous les champions de la Réforme. Ainsi, la politique d’intérêts subtituée à la politique de principes, loin de créer une Europe soumise à la France et indifférente aux questions religieuses, a fait succéder à