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connaisse pas les ambitions sans scrupules. Jamais elle n’a su tout à fait préférer ses avantages à ses principes. Jamais cette inaptitude n’a été plus éclatante que dans les réconciliations de la France et de l’Islam. L’alliance turque appelait notre pays à servir sa grandeur particulière au détriment de la civilisation générale, le sollicitait de séparer deux causes qu’il tend toujours à unir : en cela elle était contraire à la vocation de notre race. Aussi, depuis le jour où fut inaugurée cette amitié, la France, tantôt plus sensible aux intérêts que son égoïsme voulait satisfaire, et tantôt aux principes que sa conscience lui commandait de défendre, n’a pas su se fixer à un parti définitif, et, par son hésitation entre les conduites, n’a recueilli le bénéfice d’aucune.

La conception de François Ier se heurta d’abord à la foi chrétienne de la France. L’on vit combien différaient l’esprit de la cour et le cœur de la nation. Le roi n’avait pas reculé devant l’alliance, il recula devant l’aveu qu’il en fallait faire. C’est l’Empereur qui la dénonça pour perdre François Ier dans l’opinion de l’Europe, et François Ier nia, traitant la vérité de calomnie. En vain Soliman, accouru en Albanie à la tête de ses forces, était prêt à signer le traité avec le sang de victoires communes, et réclamait l’action concertée de nos armes et des siennes. Une seule fois, et seulement sur mer, cette union fut tentée. Et, malgré l’extrémité où nous étions alors réduits, quand la France vit sa bannière, unie à celle du capitan Barberousse, porter sur des rivages chrétiens la ruine et l’esclavage, la honte fut si forte que, depuis, les Valois n’osèrent plus unir avec le Turc leurs armées, ni même concerter de guerres contre l’ennemi commun. La France et l’Islam, opérant isolément, alternèrent leurs attaques au lieu de les associer, et comme l’étau ne serrait qu’une de ses branches à la fois, l’Autriche échappa meurtrie, mais non écrasée. Vers la même époque, le peuple, dans lequel on disait si épuisé l’élan des croisades, faisait la Ligue, et contre la politique sans principes des Valois élevait jusqu’à la révolte une réaction de catholicisme. Un tel peuple répugnait à toute solidarité avec l’Islam. Héritiers d’ambitions qu’ils ne songeaient pas à répudier, mais à accroître, et par elles rivés à l’alliance turque, les Bourbons la portèrent comme une chaîne : tous aspiraient comme à la délivrance au retour vers la tradition chrétienne. Henri IV mûrissait son « grand dessein, » qui était de rendre à l’Europe l’équilibre par des compensations prises sur le Turc. La mort de ce grand