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c’est surtout parce que, inconsciemment, il a besoin d’en avoir d’autres, pour avoir des accens. L’adversaire dont l’orateur a besoin pour déployer son éloquence, votre conférencier se le crée à lui-même, en indisposant son auditoire par ses positions et sa thèse, et il fait de l’auditoire même l’adversaire qui lui est indispensable. Dès lors, il a quelqu’un à convaincre et non à divertir ; il est orateur, quoique conférencier par circonstance ; il est rentré dans sa nature ; il s’est réintégré ; il peut parler, il parlera bien.

Or les orateurs du second Empire n’avaient personne à convaincre. Selon le parti, ils étaient cinq, un peu plus tard une vingtaine, qui n’avaient aucune illusion sur la possibilité de convaincre trois cents collègues adverses ; ou ils étaient ministres, ne songeant nullement à convaincre les cinq ou les vingt opposans, et n’ayant nul besoin de convaincre les trois cents satisfaits, suffisamment convaincus par destination. Il en résultait que les uns et les autres étaient des conférenciers, qui parlaient, non pour enlever un vote, non pour convaincre un adversaire ou un hésitant, mais pour faire plaisir à leurs amis : les uns au pouvoir et à ses adhérens, les autres à leurs partisans du dehors répandus dans toute la France.

Dès lors beaucoup de talent, mais vraiment très peu d’éloquence proprement parlementaire ; et les discours de l’opposition étaient des pamphlets ; et les discours ministériels étaient des panégyriques. Et ni les uns ni les autres n’avaient le ton ; ils avaient comme un ton faux ; ils avaient ce ton qu’on a quand on parle à quelqu’un prétendument, avec l’intention de se faire entendre d’un autre. Ils avaient l’air comme déplacés. C’étaient des articles de revue d’opposition ou de revue officieuse qui auraient pris la forme de discours. Et, pour y revenir, c’étaient des conférences. C’étaient des discours auxquels manquait un public vivant. De grands orateurs ont épuisé ainsi un bien grand talent. On aurait pu dire d’eux que rien ne leur manquait que le Forum. Mais l’éloquence du plus grand orateur a deux sources, dont l’une est le Forum et l’autre lui-même. « Moi seul, » ce n’était pas assez.

VI

Des orateurs dont le nom est resté plus spécialement attaché à la troisième République, les plus illustres furent Gambetta et Ferry, et, comme ils sont morts, M. Pellisson leur a donné place