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ce point, Guizot, Thiers, Berryer, n’ont rien à se reprocher les uns aux autres. Guizot (7 janvier 1839), en un très beau langage, du reste :


Messieurs, pendant un temps, j’ai été accusé d’être ennemi de la liberté, de l’attaquer violemment ; aujourd’hui, je suis accusé d’attaquer le pouvoir. Je suis fort accoutumé à toutes ces accusations. Je voudrais que vous pussiez voir avec quelle sérénité intérieure j’entends bourdonner autour de moi toutes ces calomnies, je vois passer devant moi toutes ces colères, réelles ou feintes. Non, messieurs, toute ma vie, et ce n’est pas pour moi seul que je parle, je parle pour mes amis politiques comme pour moi, j’ai aimé et servi la liberté, j’ai aimé et servi le pouvoir, la liberté légale, le pouvoir légal. On parle d’ambition personnelle. Je ne puis que redire ici ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire devant cette Chambre : si par là on entend le désir de servir ma cause, de faire triompher mes idées, on a raison ; j’ai de l’ambition et sans limites. Si l’on entend, au contraire, cette misérable ambition personnelle qui consiste à être ou à n’être pas ministre, à s’asseoir ici plutôt que là, si c’est de celle-là qu’on parle, je n’ai pas besoin de répondre.


Berryer de même, avec cette ardeur de passion, cette fougue, cet élan de l’orateur né orateur et qui était prédisposé par sa nature à s’épancher dans le sein de l’auditeur, quelque auditeur qu’il eût pu avoir, en une plénitude de confiance et de confidence. Le geste de Berryer (je l’ai vu et entendu) était de prendre sa poitrine des deux mains et de les écarter ensuite comme s’il eût répandu son cœur sur le monde, et, de fait, ce n’était rien de moins, ou à peu près. Aussi parlait-il ainsi :


« … Quant à moi, messieurs, j’ai cet avantage de position que j’ai combattu tous les ministres aujourd’hui divisés. J’ai combattu contre tous les cabinets depuis huit ans; je suis décidé, en cette grave matière, sur cette grande question des rapports de la France avec l’étranger, à m’expliquer avec une entière franchise ; et ce n’est pas tout que la franchise ; il faut une entière indépendance, indépendance à l’égard de ses amis politiques comme indépendance à l’égard de ses adversaires. Cette indépendance, je l’aurai… Je sépare donc complètement, complètement au fond de mon cœur et toujours (car j’ai compris que c’était là le devoir d’un bon citoyen) tout ce qui est relatif à la position de la France à l’égard de l’étranger. En tout temps et sous tous les régimes, je crois que, par la nature dont Dieu m’a fait, je n’aurais pas eu un autre sentiment; et si je disais toute ma pensée…