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Il y a des conséquences assez curieuses de cette manière. Par exemple, les orateurs de cette époque sont sensibles à la « beauté » d’une idée, et adoptent ou affectent d’adopter une idée et la recommandent, pour sa beauté. Assez sottement, à mon avis, une grande partie de la Chambre de 1874 rit de tout son cœur de ce mot de Beulé : « Nous possédons le système parlementaire dans toute sa beauté ; » et toute la France suivit, ou à peu près. Personne ne songea à sourire, et au contraire je lis : « marques d’approbation, » quand Thiers dit en 1831 : « Ici peuvent se produire avec plus de régularité, moins de désordre, toutes les scènes de la liberté antique. Les hommes doivent venir à cette tribune, déployer raison, éloquence, présence d’esprit, tout ce qui sert à gouverner les autres hommes. Personne ne conteste la beauté de cette conception. » — Et c’était exactement la même idée, à très peu près dans les mêmes termes. On peut mesurer le chemin parcouru.

Il était tout naturel que ces hommes fussent séduits ou affectassent de l’être par la beauté d’une idée, puisqu’ils étaient ou affectaient d’être philosophes. Ce qui recommande une « conception » au philosophe, c’est précisément ce qu’elle présente d’harmonieux dans l’ensemble et dans la combinaison de ses élémens, et la beauté sévère, mais imposante, qui en résulte. Les orateurs de 1830 étaient si philosophes qu’ils en étaient esthéticiens. Il y avait de l’esthétique politique dans leur affaire. Au point de vue de l’art, cette disposition d’esprit a contribué à nous donner de très belles œuvres, qu’on peut lire encore avec plaisir, — ce qui est rare des ouvrages politiques.

II

Très peu fréquent et presque insensible dans les discours politiques de 1830 et de 1840, je vois devenir très apparent vers 1840 un élément d’intérêt un peu plus vulgaire, mais très puissant, et que je n’ai le courage ni de blâmer ni d’approuver. Est-ce un effet éloigné et tardif du romantisme ? Il se pourrait ; mais je n’en mets rien en gage. L’orateur intervient de sa personne, de ses émotions, de sa sensibilité, dans ses discours. Il dit « je » « moi » avec complaisance, en entourant ces mots de formules diverses de modestie, mais sans garder la forme de modestie qu’il observait auparavant et qui consistait à ne pas les employer. Sur