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s’enfuir à bord d’un navire anglais, beaucoup de ses collaborateurs furent décapités, d’autres exilés, et il ne resta bientôt plus trace de leur œuvre.

Cette imprudente tentative de réforme a seulement montré l’instabilité et la fragilité du gouvernement de Pékin. Elle a remis l’Empereur sous le joug de la vieille impératrice Tze-Hsi, qui a déjà gouverné effectivement la Chine depuis 1875 jusqu’à ces dernières années, appuyée sur Li-Hung-Chang, lequel paraît devenir de moins en moins ami du progrès. C’est un succès pour la Russie, qui semble avoir de bonnes raisons de compter sur le vieil homme d’Etat. C’est surtout l’ajournement de toute réforme sérieuse, comme le prouvent de récens édits réglementant les-conditions d’exploitation de mines et les réprimandes adressées à un grand vice-roi du Yang-tze pour avoir voulu réorganiser à l’européenne les troupes de sa province. Le gouvernement a décidé aussi de ne plus autoriser de chemins de fer jusqu’à ce qu’on pût juger par quelques résultats de ceux déjà concédés. Mais ceci n’est pas dénué de sens ; et les puissances paraissent s’être rendu compte du danger qu’auraient de trop grandes exigences de leur part ; elles n’ont pas formulé de nouvelles demandes. Il est à souhaiter qu’elles persévèrent dans cette sage conduite. Nul ne peut dire les vicissitudes que l’avenir réserve à la Chine ; mais, de toutes les hypothèses possibles, celle d’un prochain partage paraît la plus déplorable et la plus grosse de dangers. Personne ne la désire au fond ; mais chacun craint de voir des rivaux la réaliser à leur profit et veut s’assurer sa part dans le cas où il faudrait en venir là. C’est ce qui constitue le danger actuel du problème chinois.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.