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que l’occupation de Kiao-tchéou fut connue, ce fut dans la presse britannique de toutes les latitudes une explosion d’invectives, bien lot suivie d’un torrent de plaisanteries, lorsque Guillaume II porta à son frère, partant pour les mers de Chine, des toasts un peu trop solennellement dramatiques pour les circonstances. Les mésaventures du prince Henri de Prusse, arrêté en route par divers incidens et constamment obligé de faire du charbon dans des ports britanniques, provoquèrent encore toutes sortes de commentaires ironiques.

Ce qui inquiétait les Anglais, ce n’était pas seulement l’action même de l’Allemagne, c’était la crainte que l’Empire des Tsars n’en profitât pour faire de son côté un nouveau pas en avant dans la Chine du Nord. S’ils semblaient prendre leur parti de voir la Russie occuper un port libre de glaces en toute saison, ils n’auraient pas voulu qu’elle pût, de ce port, exercer une action trop directe sur la capitale du Céleste-Empire ; ils prétendaient aussi qu’un port de ce genre fût librement ouvert au commerce de toutes les nations, comme leur Hong-Kong ou l’un quelconque des ports de traité. Aussi, tandis que, dès les premiers jours de 1898, M. Balfour invitait presque les Russes à s’assurer une issue sur la mer libre, un autre ministre de la Reine, sir Michael Hicks-Beach, déclarait, quelques jours après, aux applaudissemens de toute la presse, que le gouvernement britannique « était absolument déterminé, à quelque prix que ce fût, même au risque d’une guerre, à ne pas se laisser fermer la porte (en Chine). » Pour s’opposer aux empiétemens de la Russie, la Grande-Bretagne prenait les devans et, s’appropriant la politique financière qui avait si bien réussi au Tsar, elle offrait à la Chine de lui prêter directement, par un contrat de gouvernement à gouvernement, les 400 millions de francs dont le Fils du Ciel avait encore besoin. Ce dernier venu des trois grands emprunts chinois était le moins bien garanti ; les recettes des douanes ne suffisaient plus à en couvrir les intérêts ; et c’était par conséquent celui qui devait donner au prêteur le plus d’occasions de s’immiscer dans l’administration intérieure et d’exercer une pression politique à Pékin. Parmi les conditions mises à ce prêt se trouvait l’adjonction à la liste des ports ouverts de Talien-wan, dans la presqu’île du Liao-toung, que la Russie convoitait. En l’ouvrant ainsi au commerce de toutes les puissances, on en rendait beaucoup plus difficile l’accaparement par l’une d’entre elles.