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de ses procédés d’intimidation, se met à parler d’autre chose. L’anecdote fait honneur à l’énergie du ministre de France et à sa connaissance du caractère chinois ; elle montre bien l’affaiblissement de l’influence anglaise en Chine en 1895 et 1890, en même temps que le mécontentement qu’avaient causé à cette puissance la rectification de notre frontière et notre extension jusqu’au Mékong. En y consentant, la Chine violait, il est vrai, les engagemens pris par elle quand la Grande-Bretagne lui avait reconnu Xieng-hong, engagemens dont nous n’avions pas à nous préoccuper, car l’État en question était peut-être vassal de l’Annam ou du Siam aussi bien que de la Birmanie ou de la Chine.

Quelle était la valeur réelle des concessions commerciales que la Chine nous accordait et que notre presse faisait sonner bien haut ? Les réductions de droits sur les produits transitant par le Tonkin auraient une grande valeur, si les parties limitrophes de la Chine étaient riches : il faut bien convenir qu’il n’en est malheureusement pas ainsi. C’est ici le lieu de jeter un coup d’œil sur la région que l’on peut approvisionner et exploiter par la voie du Tonkin. Elle comprend la plus grande partie du Yunnan et du Kouang-si, la moitié méridionale du Koui-tchéou, et une faible partie du Kouang-toung, la longue et mince bande de territoire que cette province projette jusqu’à la frontière tonkinoise entre la mer et le Kouang-si. Or le Yunnan, le Kouang-si et le Koui-tchéou sont trois des provinces les plus pauvres de la Chine : couvrant ensemble le cinquième de sa surface, elles ont à peine le quinzième du nombre total de ses habitans : 24 millions environ sur 380. Sans doute elles ont été dévastées par la grande insurrection des Taïpings et les révoltes musulmanes, le Yunnan surtout, mais il n’en est pas moins vrai que tout ce pays est un pâté de montagnes et de plateaux, — plateaux très bossues d’ailleurs, dont les altitudes dépassent fréquemment 2000 mètres, où les communications sont très mauvaises aujourd’hui et seront coûteuses à établir. Le rapport de la Mission lyonnaise, qui l’a parcouru, de 1895 à 1897, revient fréquemment sur les grandes difficultés des transports, sur l’âpreté d’escalades telles que la fameuse route impériale des « Dix Mille Escaliers » qu’il faut gravir pour s’élever du Fleuve Rouge au plateau du Yunnan, de Manhao à Mong-Tze, et qui sur une distance de 50 kilomètres, a de 150 à plus de 2 000 mètres d’altitude ; il signale aussi la rareté des populations, contrastant avec leur surabondance dans le bassin du