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avions été en difficultés constantes, nous renoncions donc à notre entente avec le pays qui représente à coup sûr en Extrême-Orient le principe actif de rénovation et d’avenir, nous le poussions dans les bras de l’Angleterre qui pourrait un jour s’en servir contre nous. Les sacrifices que faisait l’Allemagne étaient moindres, et elle en pouvait attendre, en Extrême-Orient même, une plus large rémunération. Tout d’abord elle saisissait l’occasion déjouer un rôle politique sur une scène où elle n’en avait jamais eu jusqu’alors ; nation beaucoup plus commerçante que la France, elle devait profiter beaucoup plus largement des concessions que la Chine serait obligée de faire, et englober ce vaste marché dans la sphère où s’exerce la débordante activité de ses industriels et de ses négocians. En s’immisçant activement dans les affaires d’Extrême-Orient, le jeune empire d’Allemagne ne faisait qu’obéir à cette poussée d’expansion au dehors qui l’entraîne à affirmer partout sa puissance politique et économique.

D’autre part, l’action des trois puissances continentales n’était pas sans présenter des dangers immédiats, qu’aggravaient les dispositions belliqueuses des chefs de la flotte russe. Il est constant, — le bruit en a couru au printemps de 1896 en Extrême-Orient, et le fait nous a été confirmé à nous-même par les témoignages les plus certains, — qu’entre le 22 avril, jour où fut remise la note des trois puissances, et le 5 mai, date où les représentans du Japon annoncèrent son acquiescement, l’amiral Tyrtof, commandant l’escadre russe, depuis ministre de la Marine, demanda son concours à l’amiral de la Bonninière de Beaumont pour se porter de concert à la rencontre de la flotte japonaise, au risque de provoquer une collision où cette dernière aurait été détruite. Le sang-froid de l’amiral français, qui traîna les choses en longueur et prétexta le manque d’instructions de son gouvernement, évita une agression, qui aurait attiré sans doute des représailles sanglantes, et après tout naturelles, sur les sujets russes et français, — ceux-ci beaucoup plus nombreux, — résidant au Japon, et aurait pu avoir les conséquences internationales les plus graves. Nul ne peut dire en effet si l’opinion anglaise n’aurait pas été soulevée par un tel acte et si, le lendemain de leur facile victoire sur les Japonais, les flottes alliées n’auraient pas trouvé devant elles l’énorme escadre britannique.

Il est certain qu’en intervenant aux côtés de la Russie dans une question où ses propres intérêts étaient secondaires, la France