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couleur, ils se soumettent plus facilement aux usages des pays où ils sont établis, ils sont moins prompts à protester contre le plus léger semblant d’arbitraire. Enfin, l’Eglise orthodoxe s’est interdit en Chine toute propagande, et la légation russe n’a point à traiter ces délicates questions de missionnaires qui irritent fort les Chinois. Tout cela rendait d’autant plus facile l’établissement de l’influence russe à la place de l’influence anglaise. C’est en dehors de l’Extrême-Orient qu’il faut chercher les mobiles qui ont amené la France et l’Allemagne à entrer, sous les auspices de la Russie, en une alliance inattendue. On ne peut les trouver que dans la concurrence qui s’est établie entre ces deux puissances pour gagner les bonnes grâces du Tsar. Rivalisant d’ardeur pour lui être agréables, elles répondirent avec empressement aux propositions qui leur vinrent de Saint-Pétersbourg. L’Allemagne n’avait pas d’intérêts politiques à l’est de l’Asie, la France n’en avait que de secondaires, qui se limitaient à l’Indo-Chine ; aussi n’hésitèrent-elles ni l’une ni l’autre à régler leur ligne de conduite en Extrême-Orient d’après les aspirations de leur politique européenne, et à modifier, pour plaire à la Russie, l’attitude qu’elles avaient eue jusqu’alors : toutes deux s’étaient montrées pendant la guerre plutôt favorables au Japon.

Ce changement n’en entraînait pas moins quelques sacrifices, pour la France surtout. C’était l’abandon d’une vieille amitié avec le Japon, dont une mission militaire française avait formé l’armée, dont les bâti mens de guerre et les arsenaux avaient été en grande partie construits et organisés par des Français, et qui reconnaissait les services de nos compatriotes en envoyant à l’éminent ingénieur des constructions navales M. Bertin, après la victoire du Yalou, le grand cordon de l’ordre du Soleil-Levant. Sans doute nous n’avions pas tiré grand avantage de cette amitié, mais peut-être était-ce parce que nous ne l’avions pas voulu, car il est constant que l’alliance du Mikado nous fut offerte en 1884, et qu’un corps d’armée japonais devait marcher sur Pékin, si nous avions consenti à le transporter sur les côtes du Petchili ; en outre, nous étions en droit d’espérer, après la guerre, quelques avantages commerciaux, et notamment des commandes importantes à notre industrie pour la réfection nécessaire de la Hotte, naturellement fort éprouvée par la guerre. En nous rangeant du côté de la Chine, dont il pouvait être utile de nous assurer le bon vouloir, puisque nous étions ses voisins, mais avec laquelle nous