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reprendre un jour leurs entreprises de conquête, si l’Europe se trouvait distraite, absorbée, par exemple, dans quelque grande guerre ; en tout cas, ils se préparaient à exercer en Chine une influence prépondérante et à l’employer en faveur de profondes réformes.

Par le traité de Shimonosaki, signé le 17 avril 1895, le Céleste-Empire accordait toutes les cessions territoriales que ses vainqueurs lui avaient demandées, reconnaissait en outre l’indépendance de la Corée, et y laissait ainsi la main libre au Japon dont les troupes l’occupaient. Si ce traité était ratifié tel quel, la Russie devait renoncer, pour fort longtemps au moins, à s’ouvrir une issue vers la mer libre, et se résigner à voir une influence rivale se substituer à la sienne à Pékin et réorganiser la Chine dans un esprit plutôt hostile. Elle ne pouvait l’admettre, mais elle répugnait à agir seule, craignant peut-être de rencontrer en face d’elle l’Angleterre à côté du Japon. Aussi, dès avant la signature du traité de paix, était-elle entrée en pourparlers avec la France et l’Allemagne, en s’efforçant de leur démontrer que l’installation du Japon sur la côte ferme heurterait leurs intérêts non moins que les siens. Elle sut les entraîner dans son orbite et, le 22 avril, les représentans des trois puissances continentales remettaient au gouvernement du Mikado des notes, rédigées du reste dans les termes les plus courtois, où ils le priaient de renoncer à la presqu’île du Liao-toung, l’établissement de son autorité dans ce pays devant être un danger permanent pour la paix de l’Extrême-Orient et du monde entier.

Le premier mouvement du Mikado fut, dit-on de refuser, coûte que coûte, la concession qu’on lui demandait. Son gouvernement jeta les yeux vers l’Angleterre, pour voir s’il pouvait compter sur un appui. Mais cette puissance n’avait pu se décider encore à marcher complètement d’accord avec le Japon. Peut-être le cabinet de Londres se laissait-il influencer par les sentimens nettement anti-japonais de presque tous ses nationaux établis en Extrême-Orient ; peut-être lui déplaisait-il de servir les intérêts d’un pays qui pouvait devenir un concurrent dangereux pour le commerce anglais. Toujours est-il que la diplomatie britannique ne put se décider ni à se joindre aux trois puissances continentales, ni à soutenir nettement le gouvernement de Tokio qui, dans ces conditions, eut la sagesse de céder, mais garda d’abord rancune à la Grande-Bretagne ; celle-ci se trouva un instant tout