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printemps de 1895, elle s’était ressaisie, mais ce sont des principes tout à fait nouveaux qui ont guidé depuis lors la conduite de l’Europe vis-à-vis d’un pays qu’elle avait cru fort et dont l’impuissance venait de lui être démontrée.

La première, et avec une désinvolture peut-être excessive, l’ancienne amie de la Chine, l’Angleterre, avait fait volte-face. Au début du conflit, elle s’était rangée entièrement du côté du Céleste-Empire. Les journaux ont raconté en son temps l’incident qui s’était produit en face de Weï-hai-Weï, que l’escadre japonaise était au moment de surprendre : la flotte britannique fit échouer le projet, en saluant, contrairement aux usages, avant le lever du soleil, le pavillon de l’amiral Ito, ce qui prévint les Chinois endormis, et leur donna le temps de se reconnaître. A plusieurs reprises, les menaces anglaises n’avaient pas été épargnées au Japon, notamment lorsqu’un de ses bâtimens de guerre coula un navire marchand britannique transportant des troupes chinoises, et c’est d’un ton fort péremptoire que lui avait été signifié le désir de l’Angleterre de ne pas voir le théâtre de la guerre s’étendre jusqu’à Shanghaï et à la région du Yang-tze.

Mais la bataille du Yalou et la prise de Port-Arthur en une matinée par les troupes du Mikado dessillèrent les yeux du cabinet de Londres. Ce que la Grande-Bretagne cherchait en Extrême-Orient, c’était, d’une part, un appui politique et, à l’occasion, militaire, contre l’Empire des Tsars, — « un verrou qui fermât la voie aux velléités d’expansion russes, » suivant le mot expressif de M. de Brandt, — d’autre part, un vaste débouché pour son commerce et ses capitaux. Convaincue désormais que le Japon, installé en Corée et sur les côtes septentrionales du golfe de Petchili, serait un « verrou » bien autrement efficace que la Chine, l’Angleterre se mit à envisager ses succès avec faveur, en même temps qu’elle conseillait au gouvernement chinois de quitter Pékin pour s’établir plus au centre de son territoire. Si l’Empire du Milieu ne pouvait plus être un allié utile, il restait une proie magnifique, un champ d’activité économique incomparable ; et le transfert de sa capitale en quelque point des bords du Yang-tze, qui est accessible à la navigation maritime, à Nankin par exemple, l’aurait mis à la merci des maîtres de la mer. Ils l’eussent obligé à ouvrir enfin ses portes ; leur supériorité commerciale, l’avance qu’ils avaient acquise sur tous les autres peuples, en Extrême-Orient plus que partout ailleurs, leur