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beaucoup moins spacieux que celui précédemment occupé par elle, ne put continuer d’y loger sa fille, la duchesse de la Ferté[1].

Les travaux étant terminés à la fin d’octobre et la Cour encore à Fontainebleau, le Roi fit connaître la nouvelle répartition des appartemens. Il n’en fallut pas davantage pour rendre notoire son intention de permettre le rapprochement des jeunes époux. Eux-mêmes en furent informés, le duc de Bourgogne sans doute par le Roi, la duchesse par Mme de Maintenon, et, comme tout le monde était dans la confidence, les courtisans ne manquèrent pas d’observer un peu malicieusement leur attitude et les diplomates d’en rendre compte à leurs cours. « Le Roi, rapporte le baron de Breteuil[2] dans ses Mémoires, nous dit à son petit coucher, en parlant de Mme la duchesse de Bourgogne, qu’il y avoit déjà quatre à cinq jours que sa pudeur alarmée avoit commencé à la faire pleurer. » Quant au duc de Bourgogne, l’ambassadeur vénitien Pisani assure dans ses dépêches[3] qu’il aurait préféré quelque délai, et il explique ce secret désir soit par « una troppo verde età, incapace ancora dei più vivi rissentimenti d’un maritale amore, » soit par un désaccord entre les deux cœurs qui aurait expliqué le « tepidezze dei desiderii. » Il n’en espérait pas moins, avec tout le royaume, « un presto e fortunato successo. »

Ni la pudeur alarmée d’une jeune princesse, ni les tiédeurs d’un jeune prince n’étaient pour arrêter Louis XIV quand il avait pris une décision. Il voulait que, le jour même où la Cour rentrerait à Versailles, les barrières que sa volonté avait maintenues jusque-là entre les deux époux fussent abaissées, et elles le furent. Il décida cependant, au grand regret de Breteuil, que la soirée se passerait « sans aucun bruit ni appareil. » Il y en eut même encore moins qu’il n’avait prévu. La Cour arriva de Versailles le 22 octobre, le Roi ayant amené dans son propre carrosse, d’une

  1. Le nouveau logement occupé par le duc de Bourgogne donnait sur le palier qui mettait en communication l’appartement du Roi avec celui de la feue Reine, occupé par la duchesse de Bourgogne. Ce logement, fort exigu, composa plus tard ce qu’on appelait les petits appartemens de Marie Leczinska et de Marie-Antoinette. Quant au logement occupé par la duchesse de Bourgogne, c’est celui qui devint plus tard le grand appartement de Marie Leczinska, et qu’on montre aujourd’hui au public sous ce nom.
  2. Le fragment des Mémoires de Breteuil, d’où nous tirons tout ce qui va suivre, a été publié dans les Archives curieuses de l’Histoire de France (2e série, t. XII, p. 165 à 167), sous ce titre : De la soirée et du lendemain de la première nuit que M. le duc et Mme la duchesse de Bourgogne ont passée ensemble.
  3. Bibliothèque nationale, Dispacci dell’ Ambasciatore Veneto in Francia Alvise Pisani, filza 193, p. 397, 398.