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et généreux comme il l’était, des mesures aussi mesquines ne pouvaient que le froisser, sans rien changer à ses sentimens. Au surplus, celui qui n’avait pas cessé d’être entre Fénelon et lui le véritable lien demeurait à ses côtés ; et il avait la consolation de sentir que le crédit de son gouverneur n’était point ébranlé. C’était encore à Beauvillier que le Roi s’adressait pour remplir les places devenues vacantes, et, dans ses nouveaux choix, celui-ci paraît avoir été plus heureux que dans les premiers, un peu trop exclusivement inspirés, à dire vrai, par des préoccupations religieuses. Comme gentilshommes de la manche, il proposa Puységur et Montviel ; comme sous-précepteur et lecteur, les abbés Vittement et Lefèvre. Puységur, de très bonne famille, avait toujours été au service, et, de grade en grade, il était parvenu jusqu’à celui de brigadier. Montviel exerçait depuis 1696 les fonctions de maréchal général des logis. Tous deux, gens d’honneur, étaient de bons officiers. C’étaient bien des hommes comme ceux-là, et non des mystiques, qu’il fallait auprès d’un jeune prince. Quant à l’abbé Vittement, il dut ce choix « à la beauté de la harangue qu’il avoit adressée au Roi sur la paix, l’année précédente, à la tête de l’Université dont il étoit recteur et qui fut universellement admirée. » Ce qui vaut mieux encore, c’était un excellent prêtre, fort simple de mœurs, qui, après avoir occupé plusieurs fonctions importantes (entre autres celle de sous-précepteur de Louis XV), devait un jour se retirer de la Cour sans vouloir accepter ni récompense ni place à l’Académie française. Il en était de même de l’abbé Lefèvre, qu’il fallut tirer de l’Hôpital Général pour l’introduire à la Cour, et qui s’empressa de retourner dans sa retraite aussitôt que ses fonctions prirent fin. Tous deux appartenaient à ce clergé bourgeois, respectable dans ses mœurs, modeste dans ses ambitions, qui était, au temps passé, beaucoup plus nombreux qu’on ne croit, et qui se distinguait, par son désintéressement et ses vertus, des abbés à bénéfice et des prélats de cour. Le duc de Bourgogne n’eut donc pas à souffrir des nouveaux compagnons ni des nouveaux maîtres qui lui étaient donnés. Les deux abbés eurent au reste à s’occuper plutôt de ses frères que de lui. En effet, à peu de temps de là, une occasion publique allait lui être donnée de s’émanciper davantage, et de montrer ce que son apparence un peu sévère et sa nature sérieuse cachaient d’instincts ardens, virils et déjà militaires.