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pauvre exempt était demeuré, comme on peut penser, fort étranger à toutes ces querelles théologiques, et, dans sa vie de jeune officier, la doctrine du pur amour avait dû tenir peu de place. Sentant venir l’orage, il s’était même prudemment retiré de la Cour. Cette prudence ne le sauva point. Il fut brutalement cassé, comme s’il avait commis quelque action déshonorante. « Rien ne marqua mieux, dit Saint-Simon, la rage de la cabale. » Le Moi voulait un éclat. Il fut grand. Personne ne se méprit sur les causes de cette disgrâce : « On accuse ces Messieurs, dit discrètement Dangeau, d’être fort attachés aux nouvelles opinions[1]. » Le bruit courut même pendant quelques jours, à la Cour, que le Roi n’en resterait pas là. Bien que Fénelon fût depuis plus d’un an relégué dans son diocèse, avec défense de paraître à Versailles, il avait conservé cependant le titre de précepteur des Enfans de France. Il en touchait les appointemens, et le logement qui lui avait été affecté dans le palais demeurait toujours vacant. Depuis longtemps les ennemis de Fénelon désiraient lui voir enlever ces dernières marques de son ancienne faveur. « Qu’est-ce que le Roi attend pour ôter à M. de Cambrai le préceptorat, écrivait à son oncle l’abbé Bossu et, qui poursuivait à Rome la condamnation des Maximes des Saints ? Cela produirait un grand effet, et il est temps d’agir. » Et Bossuet, en lui annonçant le renvoi des quatre amis de M. de Cambrai, lui répondait : « Je ne doute pas, après cela, qu’on ne nomme bientôt un précepteur, et que la foudre ne suive de près l’éclair. On verra par-là comment le Roi et la Cour reviennent pour M. de Cambrai[2]. »

La foudre ne suivit cependant pas l’éclair d’aussi près que Bossuet l’aurait souhaité. Plus disposé aux tempéramens que l’antagoniste un peu passionné de Fénelon, le Roi jugea que pour le moment c’était assez. Il dut aussi se rendre compte qu’il était bien tard pour nommer un nouveau précepteur au duc de Bourgogne, car, un mois après, Bossuet écrivait de nouveau à son neveu : « Il n’est pas vrai que M. Fleury soit précepteur en titre[3] ; il fait la charge de sous-précepteur auprès de M. le duc de Bourgogne. Il y a apparence que le Prince étant marié et bientôt tiré du gouvernement, on ne lui nommera point de précepteur. Quoi

  1. Dangeau, t. VI, p. 356.
  2. Bossuet, Œuvres complètes, édit. Lâchât, t. XXIX, p. 434.
  3. L’abbé Fleury avait été choisi par le Roi personnellement, au moment où, sur la proposition de Beauvillier, Fénelon avait été nommé précepteur. Il ne fut maintenu dans cette fonction que parce que Bossuet en répondit.