un milieu plus propre à la manifestation de la vérité. Le gouvernement a paru oublier. M. le garde des Sceaux, — et nous ne l’en félicitons pas, — est allé jusqu’à dire à ses auditeurs : Songez à vos circonscriptions électorales ! Précaution bien inutile, car les députés ne songent déjà que trop à leurs circonscriptions électorales, et il y aurait plutôt à en détourner leurs esprits pour les porter plus haut, qu’à les y ramener et à les y enfermer. Le gouvernement a déclaré encore que l’enquête de MM. Mazeau, Dareste et Voisin n’était pour rien dans la détermination qu’il avait prise d’une manière si imprévue ; mais personne ne l’a cru. Il a été mieux inspiré, et s’est sans doute rapproché de la vérité lorsqu’il a dit que la lettre des trois conseillers enquêteurs à M. le garde des Sceaux avait créé à ses yeux une situation nouvelle. Avec nos mœurs actuelles, il était inévitable que cette lettre fût publiée, et elle ne pouvait pas l’être sans infirmer d’avance, pour bien des gens, l’autorité d’un simple arrêt de la chambre criminelle. On comprend que le gouvernement ait été ému de cette perspective. Il veut sans doute, il veut à coup sûr que l’arrêt définitif se présente dans des conditions telles que tous les bons citoyens soient moralement obligés de l’accepter : comment en aurait-il été de la sorte, le lendemain de la lettre de M. le premier président Mazeau, si la chambre criminelle était restée seule chargée de la responsabilité de l’arrêt ? M. Mazeau a parlé des insultes et des outrages dont cette chambre a été l’objet : tout en déclarant qu’elle ne les avait pas mérités, il a dit qu’elle y avait été trop sensible, sans en fournir d’ailleurs aucune preuve. Dès lors, la place était démantelée et sa défense devenue impossible, à moins d’y introduire du renfort. On pouvait dédaigner, avant la lettre de M. Mazeau, les attaques dirigées contre la chambre criminelle ; après cette lettre, ceux mêmes qui les désapprouvaient le plus vivement étaient obligés d’en tenir compte, ne fût-ce qu’au point de vue de la tactique qu’elle avait rendue nécessaire. Tactique ! Nous sentons bien ce que le mot a ici de déplacé et même d’inconvenant. Il fallait donc faire œuvre politique ! Eh ! oui ; le gouvernement ne pouvait plus échapper à cette obligation. Le secret de l’instruction judiciaire ayant été divulgué, que faire, et comment se dérober à la poussée de cette opinion publique, que tantôt on invoquait comme une excuse, et que tantôt on feignait d’ignorer, parce qu’on y sentait un danger ? Ce danger est très grave, en effet. Il était dit que, dans cette affaire où tout est exceptionnel, on verrait se produire la pire des nouveautés, un changement dans la juridiction compétente en cours d’instruction. On ne la dessaisit pas,
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