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quelles idées se sont peu à peu réalisées, donnant à l’époque tout entière sa physionomie, sa signification, sa place dans l’histoire.

Avoir conçu ce large plan et l’avoir dans l’ensemble heureusement réalisé, ce n’est pas un mince mérite, ni qui soit à la portée de beaucoup de gens. Nous en sommes trop convaincus et l’estime que nous inspire le talent de l’écrivain est trop réelle, pour que nous puissions échapper à l’obligation de formuler tout d’abord de très expresses réserves. M. Paul Adam nous a trop souvent gâté le plaisir que nous avions à le lire, il nous force à faire une trop large part à la critique : c’est ce dont nous nous plaignons. Le plus grave reproche que nous lui adressions, — et ce que nous ne pouvons lui pardonner, — c’est d’avoir semé son livre de tant de gravelures et d’y avoir répandu d’un bout à l’autre une si écœurante odeur de libertinage. Les incongruités ne sont pas jetées seulement sur la trame du récit comme autant de déplaisantes broderies ; mais elles semblent inhérentes à la conception même de l’œuvre. Chaque fois que nous venons de lire une scène d’un beau mouvement, chaque fois que nous avons été entraînés, enlevés, élevés par quelque vision d’héroïsme, nous pouvons prévoir qu’on va nous faire retomber sur quelque image choquante. C’est chez M. Paul Adam un procédé. C’est même l’un des procédés qui lui sont le plus habituels et le plus particuliers. Il consiste à faire des scènes licencieuses la continuation et l’aboutissement des autres, variant et s’harmonisant avec elles par un subtil et bizarre système de correspondances. Le maréchal des logis Héricourt a des bonnes fortunes de sous-officier avec des filles ramassées dans la rue. La furie qui emporte l’escadron chargeant à Messkirch se prolonge par une fureur de viol. Promu au grade de colonel, Héricourt est promu à des voluptés nouvelles : « Virginie en pleine beauté, impatiente de revoir l’époux victorieux, courut au-devant de Bernard jusqu’en Wurtemberg. Elle aimait, dormait, se baignait, aimait encore son mari avec toute la force de sa chair, de son sang et de ses os. Bernard goûta les grandes voluptés de la passion. » Qu’un boulet ne l’eût pas arrêté sur la voie des grades supérieurs, qu’il fut devenu général, on nous laisse trop clairement deviner l’espèce de récompense qui l’attend. C’est ainsi que la victoire sur l’ennemi doit être complétée par la victoire charnelle, l’ivresse de gloire par l’ivresse amoureuse. « Son ivresse de gloire veut aimer du même élan qui tua. » Le désir de jouissance devient une forme du patriotisme. « La France persuadée de sa cause se ruait instinctivement vers l’espoir de conquête que représentaient, chaque nuit, les sociétés de filles parquées dans les petites maisons des remparts. Et la voix de la