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pêche des écrevisses et la pêche des huîtres, tout comme on dit la pêche de la morue ? Au surplus, s’ils avaient songé aux distinctions dont parle lord Salisbury, il est à croire qu’ils se seraient, à ce sujet, exprimés d’une manière très explicite, préoccupés qu’ils auraient été d’éviter les confusions que la contrariété du langage technique et du langage usuel ne pouvait manquer de faire naître. Mais il est une dernière remarque qui enlève tout son poids au nouvel argument de lord Salisbury : elle a été présentée récemment[1] par un député français, M. Ribot, avec une grande autorité, puisque celui-ci était ministre des Affaires étrangères à l’époque même où se discutait le plus sérieusement la question des homarderies : « L’histoire naturelle, a dit ce député, a fait des progrès dans notre siècle, comme toutes les sciences ; et quand on a la curiosité de lire les traités d’histoire naturelle publiés vers 1713, on voit que le homard était rangé dans la catégorie des poissons[2]. »

  1. Séance du 22 janvier 1899, Journal officiel, Débats parlementaires de la Chambre des députés, p. 115.
  2. Cette affirmation de M. Ribot est, d’ailleurs, absolument exacte. Les naturalistes qui faisaient autorité au moment du traité d’Utrecht, — et dont l’influence fut longtemps prépondérante, — étaient Guillaume Rondelet, de Montpellier (1507-1566) et Pierre Belon, du Mans (1517-1564) : on les considère aujourd’hui encore comme les fondateurs de l’Histoire naturelle. Or, ces naturalistes rangeaient les crustacés, le homard aussi bien que la langouste et l’écrevisse, dans la catégorie des poissons.

    Rondelet, dans son ouvrage : Libri de piscibus marinis, in quibus veræ piscium effigies expressæ sunt, publié en latin, à Lyon, en 1554, divise son livre XVIII en plusieurs chapitres, dont les trois premiers ont pour titres : Quæ dicantur crustacea, De locustus (langoustes), De astaco (écrevisse de mer). Il admet donc que les crustacés sont des poissons. Et la même doctrine est reproduite dans l’édition française de cet ouvrage, parue à Lyon, en 1558, sous le titre : L’histoire entière des poissons. Le livre XVIII, traitant « des poissons couverts de crouste ou coque en général, en après de la langouste » (p. 385) renferme un chapitre Ier, où on lit : S’ensuit la seconde espèce des poissons sans sang, qui contient les poissons couverts de test mol, à la différence des cuistres et autres semblables qui sont couverts de test dur comme pierre. Les Grecs les appellent : Μαλαϰόσραϰα, Pline et les autres Latins : Crustis intecta, crustata, et crustacea, c’est-à-dire couverts de crouste, ou coque plus dure que escailles… Il i a grand nombre de poissons contenus soubs ceste espèce comme l’on verra par le menu… Nous dirons premièrement de la langouste. » Et, après avoir parlé de la langouste. Rondelet, dans les chapitres II et III, s’occupe de « l’escrevice de mer, en Normandie appelée Homar » (p. 388) et de « la petite escrevice de mer ou petit Homar » (p. 389).

    C’est une théorie semblable qu’on retrouve chez Belon, dans son traité : La nature et diversité des poissons, imprimé à Paris en 1553. Au chapitre III du livre II de ce traité, intitulé : Des poissons couverts de crouste ou dure escorce, il étudie « le genre des saulterelles qui ont la queue longue » (p. 348), et en particulier le « Homar » (p. 357) : « ce poisson, dit-il, en parlant du homard, est meilleur au commencement du printemps et sur la fin de l’hyver, car il est lors plein d’œufs. » Le même auteur ne s’exprimait pas d’une manière différente dans son ouvrage latin : De aqualilibus, édité à Paris en 1553 (p. 343 350).

    Les quelques ouvrages d’histoire naturelle publiés au XVIIe siècle sont aussi formels. Louis Nunez ou Nonnius (1560-1644 ?), dans son Ichtyophagia sive de piscium commentarius, édité s’envers en 1626, cite la langouste (locusta) dans la nomenclature des poissons qu’il donne au début de son ouvrage, et, au sujet des crustacés (de crustatis) dont il parle au chapitre XXXV, il s’exprime en ces termes : Post nobiliores pisces, merentut etiam ὀσταραϰόδερμα ut illorum memoria habeatur. Vocantur etiam ab aliis Μαλαϰόσραϰα, quod molli crusta integantur. « Un album de gravures sur les Diverses espèces de poissons d’eau douce, publié dans le même siècle par M. Flamen, avec dédicace « à M. Foucquet, fils de Monseigneur le Procureur général surintendant des Finances et ministre d’Estat, » contient comme première gravure l’image de l’Astacus fluviatilis ou Escrevice.