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l’avait lu et elle en souffrait plus que du reste, dans son impuissance d’aimer et d’être aimée.

Avec un effort pour surmonter l’émotion violente qui l’étranglait :

— C’est de cela, reprit Hélène, que j’ai le devoir de vous parler. Certes, je ne vous fais pas l’injure de croire que vous vous prêteriez à un pareil scandale,… recevoir chez vous ces… créatures,… leur accorder devant le monde votre protection… Mais vous pourriez vous trouver en face de certaines difficultés pour les renvoyer d’où elles viennent… le plus loin possible, et, d’ailleurs, elles se feront sans doute payer leur consentement. Je parle de la mère, bien entendu ; la petite n’est qu’un instrument de chantage. Ce que je voulais vous dire est ceci : je suis prête à tous les sacrifices pour qu’on n’entende pas parler d’elles à Paris. Et tenez, voilà ce que j’apporte…

Elle déposa au pied du lit un portefeuille bourré de billets de banque.

— Rien ne me coûtera, rien ne m’a jamais coûté pour que la conséquence des fautes de leur père ne retombe pas sur mes pauvres enfans.

Les pleurs noyèrent une minute la voix d’Hélène. Évidemment, elle se sentait sublime. Mme d’Estève gardait une immobilité de pierre.

— Je ne serais pas venue encore, poursuivit sa bru, aussitôt qu’elle put parler ; je ne serais pas venue vous troubler contrairement à vos ordres, si la chose n’eût été pressante. D’après les dates indiquées, le débarquement peut avoir lieu d’un moment à l’autre. Je me suis informée. Le Crescent est arrivé à Liverpool.

— Quoi ?… s’écria Mme d’Estève arrachée pour la seconde fois à l’espèce de torpeur douloureuse qui semblait l’accabler.

— Le Crescent est arrivé ; m’excusez-vous maintenant d’avoir forcé la consigne ?

Mme d’Estève fit de la tête un mouvement indécis.

— Je reviendrai vous voir, l’exécution faite… et… quand vous m’y autoriserez, je vous enverrai les enfans. Il me semble convenable que vous leur disiez en cette cruelle circonstance tout ce que vous suggérera votre cœur.

— Plus tard, un peu plus tard, murmura la patiente.

— Mais vous trouvez que je raisonne juste, n’est-ce pas, sur le point essentiel ?