jamais, que Guy, dans son ranch, au fond du Texas, était encore tout près d’elle, qu’il ne l’avait vraiment quittée qu’au moment où cette fatale lettre était venue lui dire : C’en est fait !
Pendant deux jours, elle ne cessa de répéter d’une voix où sonnait la monotone persistance de l’idée fixe :
— Qu’on me laisse seule ! toute seule !
Quelles pensées brûlaient sous ce front pâle, dans cette tête enfiévrée, sans cesse roulante sur l’oreiller ? Nul n’en savait rien, et elle ne s’y fût pas retrouvée elle-même. La mort, elle ne voyait que cela, n’entendait que cela, le bruit des clous, le noir du cercueil, une fosse creusée dans un sol étranger où jamais elle n’irait se mettre à genoux. La mort… et c’était Guy !
Plusieurs fois, on l’avertit que sa belle-fille faisait demander de ses nouvelles. Consentirait-elle à la recevoir ? Un geste négatif fut toute la réponse.
Le troisième jour, la portière de grosse laine qui séparait le petit salon de la chambre à coucher s’écarta, une tête très blonde parut coiffée d’un voile de veuve ; une voix basse, mais ferme, murmura :
— Pardon, ma mère, mais il faut que je vous voie, il faut que je vous parle.
Mme d’Estève se souleva brusquement sur ses oreillers en balbutiant :
— Pas encore, de grâce… épargnez-moi, pas encore…
Mais déjà Hélène s’avançait avec la résolution du chirurgien qui, sans tenir compte des cris du patient, poursuit l’opération commencée.
— Ma pauvre mère ! dit-elle, avec une pitié sincère sans doute. Qui donc n’aurait eu pitié de l’être endolori, abandonné, presque méconnaissable, qui gisait sur ce lit de délire ?
Elle se pencha sur elle, dans des intentions affectueuses, mais un mouvement presque imperceptible, qui cependant suffit à exprimer éloquemment l’horreur, la tint à distance.
— Ma mère, croyez-le, je pleure avec vous, je prie avec vous.
Et c’était justement ce que Mme d’Estève dans sa douleur jalouse ne permettait pas, — que cette ennemie de son fils osât le pleurer devant elle et mêler ses prières à celles que seule elle se croyait le droit de prononcer. Elle faillit lui crier :
— Ne me gâtez pas encore les larmes, ne me gâtez pas encore la religion, n’empoisonnez pas le peu qui me reste !