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— Quand cela serait ? Il me semble que le divorce rend leur liberté aux époux qu’il sépare ?

— Le père, tout au moins, pouvait ne pas la reprendre aussi complète, cette liberté. Il y a des nuances… Vous remarquerez, par exemple, que je n’ai jamais voulu quitter le nom de mes enfans pour reprendre, comme c’était mon droit, celui de ma famille.

La douairière ne put retenir un sourire malicieux. Elle pensait que le nom d’Estève, sans être de bien ancienne noblesse, avait meilleur air que celui de Sturm et que, presque sans exception, les divorcées qui ne sont pas des mésalliées gardent de préférence le nom de leur mari, n’ayant rien à gagner au change.

Tristes vanités que tout cela : Guy avait eu bien raison de le dire. Au moins, pour lui, ces questions misérables n’avaient jamais pesé dans la balance ; il s’était ruiné de la belle manière, follement, éperdument, pour son plaisir, sans que l’ostentation y eût de part. Et alors qu’il était riche, tout aussi riche que Mlle Sturm, à laquelle sa mère s’était mis en tête si malencontreusement de le marier, les origines plébéiennes de cette blonde au profil aristocratique n’avaient soulevé chez lui aucune objection. Qu’elle sortît d’une lignée de paysans d’Alsace, âpres au gain et rudes à la besogne, peu lui importait. La pauvre Mme d’Estève avait fondé de chimériques espérances sur ce renouvellement de la race dont Guy était le dernier rejeton.

« Il a besoin, disait-elle, d’être un peu dominé par une femme de tête. Feu mon mari eût été parfait, si j’eusse été moins faible. Celle-ci aura du caractère et de la volonté pour deux. »

Elle en eut même de façon à dépasser l’attente de sa belle-mère.

Un silence, — rompu seulement par le tic tac de la pendule et durant lequel l’entre chien et loup, depuis longtemps commencé, se changea en une nuit presque complète. Mme d’Estève sonna pour réclamer de la lumière.

— Avez-vous reçu des lettres récentes ? demanda sa belle-fille.

— Non, deux courriers ont manqué, mais je ne suis pas habituée à une grande exactitude.

Elle semblait résolue à ne pas prononcer le nom de son fils.

— Il a toujours été inexact en tout, soupira Hélène.

Et après une nouvelle pause :

— Ses fils sont la ponctualité même, j’y ai veillé.