Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses fils, qui ont de son sang dans les veines, mieux que je ne l’eusse fait moi-même, elle les élèvera très bien au point de vue pratique. Je n’ai jamais su être pratique, mais est-ce un si grand crime ? Vous ne le pensez pas au fond, chère petite mère. Vous non plus, vous n’êtes pas pratique. Vous avez payé mes dettes de grand cœur, vous vous êtes appauvrie pour l’amour de moi. C’est tout ce que je regrette, entendez-vous, cela et l’obligation où je me suis mis de vous quitter. Mais vous verrez que je ferai fortune au Texas, avec ces affaires d’élevage dont j’ai l’expérience, puisque, les courses y aidant, elles ont contribué à me ruiner. Et alors vous viendrez me rejoindre. Et nous vivrons délicieusement heureux, dans un gîte qui ressemblera à la Chaumière indienne, que vous me lisiez quand j’étais petit.

Cher Guy ! quel fond d’enfantillage subsistait en lui au milieu des pires folies ! Comme il l’avait bien embrassée ! Les baisers de ce jour-là restaient encore sur son front, sur ses cheveux, sur ses mains. Et elle n’avait su que lui faire des sermons, lui parler longuement de ses fils, dans l’intérêt desquels sa femme avait agi, résolue à leur conserver une fortune. Maintenant elle ne se sentait que fort peu d’entrailles pour ces deux grands garçons dont la froide et précoce sagesse ne rappelait en rien le caractère paternel ; mais, alors, ils étaient tout petits. Certes, leur mère s’était absolument dévouée à eux ; tant pis, car elle les avait ainsi rendus par le contact trop semblables à elle-même. Non qu’Hélène fût dépourvue de certaines qualités. Dans un quasi-veuvage, sa conduite avait été sans reproche, l’estime générale l’entourait. Catholique, elle n’admettait pas que le divorce, qu’elle avait demandé pourtant, lui eût rendu la liberté de se remarier ; elle avait (quelques intimes le savaient et en faisaient un sujet d’admiration) refusé d’épouser un de ses cousins, M. de Lure, maître des requêtes au Conseil d’État, au moins aussi riche qu’elle. Oh ! ce M. de Lure, prétentieux et gourmé, combien Mme d’Estève le haïssait pour s’être permis d’aspirer, même sans y parvenir, à prendre la place abandonnée de son fils !

Et cependant, — c’était assurément là de l’inconséquence, — elle n’avait pu se défendre d’un grand frémissement de joie quand, après beaucoup de lettres fort tristes, où l’absent ne lui parlait que d’entreprises avortées, des mauvaises chances qui le poursuivaient et, surtout, du vide affreux de son existence à l’étranger, elle avait appris qu’il venait de faire un nouveau pacte avec le