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avec un soupir d’envie, tandis que se refermait le lourd battant de chêne :

— Quel air distingué !

Ce fut aussi du ton le plus approbatif qu’une autre dame, reconduite par la tourière, au moment où celle-ci introduisait la nouvelle venue, demanda quelle était cette jeune femme.

La tourière aimait à causer autant que le permettaient la discrétion et la charité :

— Oh ! elle n’est pas si jeune qu’on pourrait le croire. J’en juge par l’âge de ses fils, qui viennent assez souvent ici voir leur grand’mère, une de nos dames pensionnaires, Mme d’Estève.

— Bah ? C’est donc là Mme Guy d’Estève ? reprit la curieuse, une dévote âgée, grasse, et vêtue de noir, qui sortait du salut, son livre d’heures à la main.

— Oui, madame, et elle serait la propre fille de sa belle-mère qu’elle ne lui témoignerait pas plus d’égards.

— En vérité ? Malgré les torts de son mari ! Ah ! ma sœur, vous pouvez vous flatter, vous autres recluses, d’avoir choisi la meilleure part. Il y a dans le monde, — je dis dans le monde brillant que les pauvres envient, — bien des malheureuses.

— Chacun ici-bas a sa croix, répondit la tourière avec la réserve modeste d’une privilégiée qui ne veut pas se vanter de ses privilèges.

Mme Hélène, comme on l’appelait, pour la distinguer de sa belle-mère, traversait cependant le grand vestibule sonore, dallé de blanc et de noir, puis montait, à gauche, l’escalier très large, luisant, ciré comme une glace, et qu’on eût dit tout neuf. L’intérieur de la maison était partout ainsi, vaste, et propre presque à l’excès, une si scrupuleuse netteté paraissant incompatible avec le mouvement de la vie, et le pas le plus léger sonnant comme un grand bruit dans les corridors déserts. Arrivée au second étage, elle s’engagea dans une galerie, des deux côtés de laquelle donnaient plusieurs portes, et s’en alla frapper à la première, avec l’assurance d’une habituée qui connaît les êtres. Sans attendre qu’on lui répondît, elle entra dans un petit salon ou plutôt dans un petit parloir particulier, qui eût été d’une simplicité presque monastique, si un ou deux meubles précieux, une panoplie d’armes de toutes sortes, quelques portraits de famille n’eussent tranché sur la rigidité des sièges en crin noir, et des gravures pieuses, appartenant sans nul doute à la communauté. Cette pièce étroite ouvrait