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ceux qui n’avaient défendu en lui que leur proie du lendemain.

Et sur ce point que de faits significatifs, d’aveux recueillis aux lèvres mêmes des Espagnols ! La franc-maçonnerie, dont plusieurs gouverneurs encouragèrent le développement, n’était pour eux qu’un moyen détourné de ressaisir un peu de leur puissance évanouie. Je ne crois pas que ses associations, suivant le mot du maréchal Blanco, aient exalté la sauvage poésie de l’Indien ; mais il est évident que l’Indien a découvert dans ce bric-à-brac mystérieux des argumens faciles à fourbir et à tourner contre ses maîtres. Un officier de marine espagnol me contait que, son frère étant venu s’installer au nord de l’île de Luçon, pour y exploiter la terre, les moines interdirent aux Indiens, sous peine d’excommunication, de travailler sous ses ordres. Il fut obligé de reprendre le chemin de Manille. J’ai sous les yeux le manuscrit d’une supplique écrite, du fond d’une prison, par un métis de la province d’Hocos et qu’avec une touchante ingénuité il adressait à la Reine. Pauvre cahier, maculé de taches, marqué de l’empreinte de tous les doigts qui l’ont feuilleté, car on se le passe sous le manteau dans ce monde d’insurgés tacites que renferme Manille. J’y relève, formulés sans phrases, les griefs des conjurés contre les moines : on les accuse d’avoir haussé le prix des fermages sans tenir compte de la crise financière, du ravage des sauterelles et des maladies qui ont compromis la culture du caféier et du chanvre ; d’exiger de nouveaux impôts sur les arbres que plantent leurs locataires et qui embellissent la propriété ; de fixer eux-mêmes la valeur des produits ; de s’opposer à toute industrie susceptible d’enrichir le pays, mais capable de l’ouvrir aux laïques, « qui pourraient ainsi juger de leur conduite ; » de refuser aux indigens la sépulture gratuite ; d’arracher aux Philippins des terres héritées de leurs ancêtres et de faire déporter ceux qui saisissent les tribunaux de leurs revendications. Les Tagals élèvent aussi la voix au nom de leurs prêtres indigènes, écartés des riches paroisses, exilés loin de leur famille, persécutés comme complices des insurgés qu’ils confessent. Hélas ! ce qu’affirment les Indiens, involontairement les Espagnols le confirment. C’est un spectacle assurément étrange que celui de ces deux partis asservis et ruinés par le même adversaire et qui s’égorgent sous les yeux du vainqueur. Et il faut voir avec quelle âpreté le vainqueur, qui n’a plus rien à craindre des Espagnols, les presse d’agir et au besoin leur en fournit les moyens ! C’est un moine,