aux Philippines, trois siècles après sa conquête, dans la même situation qu’un peuple en face de peuplades qu’il veut conquérir : il connaît mal le pays et ne peut compter que sur leur indifférence réciproque pour les réduire l’une après l’autre. Que parle-t-on de Philippins insurgés ? Il n’y a pas de Philippins. Seuls, les Tagals de quelques districts ont pris les armes ; et, s’il faut plaindre l’Espagne, d’être tenue aussi longtemps en échec par le dixième de l’unique peuplade qu’elle ait absolument englobée, on ne peut que sourire de l’ambition d’un Aguinaldo d’établir une République des Philippines !
J’ai repris l’histoire ancienne de la colonie ; et l’émotion que j’avais ressentie naguère à la lecture de la conquête du Pérou, m’a remué le cœur de la même admiration et de la même tristesse. Avec quelle folie d’héroïsme, d’avarice et de foi, l’Espagne du XVIe siècle s’est précipitée sur le sommeil des continens et des îles neuves ! Jamais nation n’étreignit plus éperdument son rêve de grandeur. Une heure sonna dans sa vie où toutes les illusions lui furent permises, même celle que Dieu souriait à ses massacres. Nous aussi nous avons massacré, comme les Anglais et les marchands de Hollande : quel est donc le peuple dont l’histoire, surtout l’histoire coloniale, n’ait pas les mains rouges ? Mais l’Espagne a introduit dans ses meurtres une idée d’holocauste. Elle avait allumé à ses autodafés la torche dont elle incendia tant de villages indiens. Sa croix ne fut pas moins sinistre que le croissant. D’ailleurs, le sang more coule encore aux veines de ses fils, et, si leur hérédité africaine leur a rendu plus facile l’acclimatation sous les tropiques et l’Equateur, elle les a brûlés d’un fanatisme que les influences occidentales n’ont pas éteint, mais que n’alimente plus L’étonnante énergie d’autrefois. Ce sont aujourd’hui des fanatiques énervés, des âmes violentes et molles, des autoritaires faibles.
Aux Philippines, les Espagnols accomplirent tout d’abord les prodiges dont ils étaient coutumiers. Leur Juan de Salcedo, ce Cortès de L’Archipel, remonta les côtes, soumit des tribus sauvages, . construisit des forts, repoussa la flotte du pirate Limahon qui menaçait Manille. Cette première conquête fut comme un chemin frayé à coups de hache dans la splendeur d’une forêt vierge. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le gouverneur de Manille, qui décide à sa fantaisie de la guerre et de la paix, traite en souverain avec le roi du Cambodge et l’empereur de Chine. Ses soldats