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étaient des natures chevaleresques, et Kossuth, certes, était un noble et beau caractère.

Le prince Napoléon arriva à Turin le 14 janvier. L’aristocratie piémontaise, un peu « collet monté, » murmura, bouda même, lorsqu’elle apprit l’union projetée ; mais son patriotisme lui interdisait de se montrer plus royaliste que le roi. — « Le Roi commande, disait-on à Turin, la noblesse l’entoure, et le peuple obéit. Mlle d’Azeglio raconte, dans une de ses lettres, qu’après avoir marqué quelque déplaisir, la noblesse parut aux fêtes de la cour et au gala du théâtre, et s’y montra empressée et cordiale. — « Le mariage, dit-elle, ne devait se faire qu’en mars, on l’a précipité sans qu’on ait pu savoir pourquoi. »

Le prince avait la beauté césarienne, il était spirituel et, lorsqu’il le jugeait nécessaire, séduisant. Il eut le don de plaire à sa fiancée, il fit la conquête des douairières, et en imposa aux codini par sa prestance et son esprit. Le général Niel ayant demandé solennellement la main de la princesse Clotilde, le Roi l’accorda dans les termes les plus gracieux et s’empressa d’annoncer aux grands corps de l’État les fiançailles de sa fille avec le cousin de l’Empereur. Les Chambres votèrent par acclamation une dot de cinq cent mille francs. — Le Piémont respirait ; après de mortelles journées d’angoisse, il sortait enfin de son isolement ; il avait un grand allié et cent cinquante mille hommes prêts à accourir pour le défendre contre toute agression. Le 23 janvier, le mariage fut célébré par l’évêque-de Verceil ; les jeunes mariés partirent aussitôt pour Gênes, où le Roi vint les rejoindre et participer aux fêtes données en leur honneur. Victor-Emmanuel tint à la municipalité génoise un langage qui sentait la poudre. Il pouvait parler haut, maintenant, car, entre les fiançailles et le mariage, M. de Cavour avait négocié et signé le traité qui le couvrait contre l’Autriche.

Le départ inattendu du prince pour Turin, dans la soirée du 13 janvier, avait transpiré à Paris, dès le lendemain, et avait donné lieu à mille conjectures, où il entrait surtout de l’inquiétude. Le 23 janvier, jour de la célébration du mariage, le Moniteur annonça « qu’une alliance de famille venait de resserrer étroitement les liens qui unissaient les deux souverains ainsi que les intérêts des deux pays. » Ce mariage, à peine annoncé et déjà conclu, causa une profonde émotion. Il déchirait les voiles et semblait révéler la pensée qui avait dicté l’apostrophe du jour de l’an.