Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avantage. Pourquoi parler si haut le jour de l’an, et puis insérer dans le Moniteur cette petite sourdine d’article que vous avez lu ? Pourquoi cette phrase ambiguë, et fort claire aussi, du discours du roi de Piémont ? Tout cela ne montre-t-il pas que l’Empereur lui-même est tiraillé par des nécessités contraires ? Laquelle de ces nécessités l’emportera ? » Le prince Albert, dans ses lettres au baron de Stockmar, appréciait dans le même esprit la sortie impériale. « Le discours du jour de l’an a mis le feu aux poudres avant que tout soit prêt. Maintenant que l’Europe est alarmée, on voudrait former un corps de pompiers. Les Bourses dégringolent, la perte de notre marché est de 60 000 livres sterling. La sympathie pour les Italiens s’est éteinte en Angleterre, car on sent qu’un échange de despotisme n’est pas un affranchissement. Lord Palmerston seul reste fidèle à son langage de 1846. Je crois encore qu’à Paris, on hésitera avant d’en venir à une collision. »

Les instructions de M. de Cavour à ses agens variaient suivant les gouvernemens auprès desquels ils étaient accrédités. Tantôt il faisait mine de marcher à la remorque de l’Empereur. Tantôt, et souvent le même jour, il affectait de tout inspirer et de tout régler. Tandis qu’à Paris et à Londres, il semblait presque regretter l’incident des Tuileries et allait jusqu’à reprocher aux Anglais de le pousser dans les bras de la France, à Berne, il parlait déjà de faire sortir les Suisses, de gré ou de force, de leur neutralité pour marcher contre l’Allemagne, au cas où elle deviendrait belligérante. — « Nous avons placé l’Autriche, écrivait-il à la date du 11 janvier, dans une impasse d’où elle ne pourra plus sortir qu’en tirant le canon. Elle a laissé passer l’occasion d’y échapper avec des concessions. La guerre éclatera, nous ne devons pas l’annoncer, ni même avoir l’air de la désirer. Mais nous devons montrer qu’elle est la conséquence inévitable de la politique autrichienne. La Suisse restera neutre ; mais si la Prusse s’unissait à l’Autriche, il faudrait à tout prix l’entraîner. Elle serait forcée d’opter et il serait facile de l’y contraindre en agitant les cantons de races française et italienne. »

Les préliminaires de Plombières n’étaient pas encore sanctionnés par un traité d’alliance offensive et défensive, et déjà M. de Cavour parlait et agissait comme s’il disposait de notre armée et de notre diplomatie. À l’insu de l’Empereur, qui aimait et respectait la Suisse, il se préparait à soulever le Tessin, les