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L’Empereur eut conscience de ses torts ; il supplia son ministre de ne pas l’abandonner, il lui ouvrit son âme, et le comte Walewski, qui l’aimait sincèrement, reprit son portefeuille. « Votre lettre m’a été au cœur, disait-il ; je suis profondément touché des sentimens que vous m’exprimez ; je m’en sens digne par la tendre affection que je porte à Votre Majesté ; mais, plus mon attachement est vif, plus j’ai dû être ulcéré de votre défiance. Tout disparaît, du moment où Votre Majesté daigne m’ouvrir son cœur et me parler de son chagrin. Mais, si la question personnelle disparaît, la question politique reste entière. »

La question politique restait entière en effet, et rien, ni la sagesse ni les prières de son ministre, ne devait plus empêcher l’Empereur de la résoudre au gré de sa volonté. Il croyait, en affranchissant l’Italie de la domination autrichienne, répondre aux désirs généreux de la France et nous assurer, sur les champs de bataille et dans les Congrès, une alliée à jamais reconnaissante. Dans une longue note, tout entière écrite de sa main, que j’ai reproduite en la commentant dans mon étude sur l’entrevue de Stuttgart[1], il développa ses idées, moins peut-être pour convaincre son ministre et le rassurer que pour justifier à ses propres yeux la gravité de ses déterminations. Recourant à la plus étrange argumentation, il se plaisait à envisager une guerre avec l’Autriche comme l’événement le plus heureux qui pût advenir à notre politique. Henri IV n’avait-il pas, dans la pensée d’assurer la paix perpétuelle, rêvé une grande république italienne placée sous le protectorat de la France ? L’Empereur savait aussi (il avait fait compulser nos archives à ce sujet) que le marquis d’Argenson, en 1745, avait repris en sous-œuvre, dans des préliminaires signés avec Le cabinet de Turin, L’idée d’une ligue de tous les princes italiens, conçue par Chauvelin en 1733. Il lui semblait dès lors qu’en réalisant le plan de Louis XV, plan contrecarré jadis par l’opposition de l’Espagne dont le consentement était nécessaire en vertu du Pacte de famille, il reprenait une tradition nationale ; alors comme aujourd’hui, le but était de chasser les Autrichiens de l’Italie, et de substituer à leur domination une Confédération de princes, le Pape y compris. Si L’Empereur avait mieux médité l’histoire, il aurait vu, — M. le duc de Broglie[2] l’a fait ressortir avec une lumineuse pénétration, — combien étaient chimériques

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1889.
  2. Le duc de Broglie. Frédéric II et Marie-Thérèse.