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faire, le général se grattait la tête et disait : « Mettez-moi en face de l’ennemi et je vous le dirai. » — Si vous m’aviez demandé l’opinion de l’Angleterre, il y a quinze jours, j’aurais pu vous répondre par les discours vagues et flottans du Parlement. Je puis vous dire aujourd’hui que l’Angleterre ne marchera pas avec la France dans cette guerre. Quant à votre attitude, entendez-vous avec la Suisse, la Belgique et l’Angleterre ; faites discuter par les journaux les desseins de Louis Napoléon, intimidez-le, faites-lui craindre les soulèvemens de 1813 ; négociez peu, ne vous expliquez pas, maintenez-vous sur le terrain des traités, présidez à la réorganisation des forces allemandes, — et attendez. »

Recommander au régent de s’armer et d’attendre, c’était lui dire : tenez-vous prêt à tout événement pour vous jeter sur la France au premier échec. Le prince consort, en vérité, était trop modeste, lorsqu’il protestait de son effacement et de son désintéressement dans la politique extérieure. Sans cesse il sortait de ses attributions de mari de la Reine pour s’immiscer dans les affaires européennes, avec une incontestable perspicacité, c’est une justice à lui rendre, mais aussi avec une malveillance non dissimulée pour la France et surtout pour son souverain. Les tendances de la Reine étaient allemandes, mais elle ne partageait pas les préventions de son mari contre Napoléon III ; elle avait un goût marqué pour sa personne ; elle appréciait sa douceur, sa simplicité et le charme de ses causeries. Elle le croyait loyal et personnellement désintéressé ; c’était peut-être le seul point sur lequel elle ne fût pas en parfait accord avec le prince consort. L’amitié qu’elle avait vouée à l’Empereur a survécu à bien des vicissitudes ; elle la reporte aujourd’hui, avec une constance qui l’honore, sur celle qui a partagé ses grandeurs et ses infortunes.

En voyant, par les rapports de son ambassadeur à Paris, que l’Empereur parlait d’une guerre contre l’Autriche pour la délivrance des Italiens et qu’il s’imaginait par là s’assurer la sympathie de l’Angleterre, la reine Victoria pria lord Malmesbury de faire tout ce qui dépendait de lui pour le détourner de ses projets. « Il ne veut pas réfléchir, disait-elle, il ne voit que ce qu’il désire. S’il fait La guerre en Italie, il aura la guerre avec l’Allemagne et par là avec la Belgique, et alors, comme nous sommes garans de l’intégrité belge, nous serons entraînés dans la conflagration. S’il n’y prend garde, la France pourrait, comme en 1814 et en 1815, se trouver en face de l’Europe coalisée. »