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Ne semblons-nous pas borner nos aspirations et nos vues à la seule domination et à l’administration de pays nouveaux ? Notre manière de faire donne l’idée de quelqu’un qui s’emparerait, à coups de fusil, d’un coin de terre inculte, y tracerait des routes, bâtirait des maisons, mettrait des clôtures, placerait des gardes, des intendans et qui, après avoir à grands frais créé un beau domaine, le laisserait sans culture. Il aurait une propriété de luxe, mais de nul rapport.

Ceci n’est-il pas l’image de notre développement colonial ? Avec un tel système, que seront jamais nos colonies pour nous, sinon de pures charges ? Comme importance coloniale, les Anglais sont hors de comparaison avec les autres nations européennes. On peut dire d’eux qu’ils forment une colonie immense dont l’Angleterre elle-même n’est que la tête ; et que celle-ci, d’une production industrielle énorme, a pour tributaire tout le reste de l’empire. Comme nous et plus que nous, ils possèdent et acquièrent de grands domaines coloniaux, mais qui sont pour eux autre chose que de simples accroissemens géographiques. Ils ne se contentent pas de l’honneur d’y voir flotter leur drapeau : ils en font d’abord autant d’issues pour l’écoulement des produits métropolitains, puis, bientôt, de vastes objectifs à l’esprit d’entreprise et à l’infatigable activité britannique. Ils ont, en un mot, de grandes colonies qu’ils administrent aussi économiquement que possible et dont ils tirent le maximum de profits. Après, bien après l’Angleterre, dans le nombre des nations à colonies, viennent la France et l’Allemagne.

Comme conclusion de tout ce qui a été dit précédemment, nous pouvons établir une comparaison entre ces deux derniers pays.

Tandis que nous poursuivons l’extension de nos colonies, sans chercher à les peupler de nos nationaux, et sans en tirer commercialement profit, l’Allemagne couvre le monde de ses colons, sans courir à la conquête de territoires nouveaux. Le résultat est évident : à créer des colonies simplement administratives, nous nous appauvrissons en efforts et en argent : les Allemands, eux, s’enrichissent, en fondant, par l’immigration, des colonies commerciales telles que celles que j’ai décrites.

À dessein, je n’ai fait nulle mention des colonies considérées comme simplement stratégiques. Il est clair que toutes les nations peuvent avoir intérêt à posséder, au loin, des points appropriés aux éventualités de guerre ; ports vastes pouvant servir d’abri à des flottes de combat, bien défendus contre les attaques de l’ennemi et dépositaires d’approvisionnemens de toute sorte.