elle pourrait être faite aujourd’hui : l’état d’esprit qui l’a inspirée est identiquement le même.
Les Chinois peuvent s’incliner devant notre force ; mais elle ne leur inspire aucun respect. Ils ont à notre égard à peu près les sentimens du passant désarmé à qui un rôdeur demande, le revolver au poing ou le couteau à la main, la bourse ou la vie, et qui donne sa bourse. De même que ce passant pourra se munir une autre fois de moyens de défense pour ne pas retomber dans sa mésaventure, le Céleste Empire a parfois des velléités de s’approprier une partie de l’outillage de l’Europe pour se défendre contre elle. Mais, ce faisant, il ne confesse pas l’infériorité de sa civilisation, qu’il prétend garder intacte. Il n’est guère douteux que, libres de leur choix, et la pression de l’Europe cessant, on ne voie les Chinois refermer aussitôt presque tous leurs ports, arracher les poteaux de télégraphe et les quelques centaines de kilomètres de rails qu’on a posés à grand’peine sur leur territoire, effacer enfin tous les vestiges d’innovations odieuses et inutiles.
Sans doute ce seraient là des actes gouvernementaux ; le peuple, lui, se sert des facilités que lui offre la civilisation occidentale, les bateaux à vapeur qui font le service des ports de la côte et du Yang-tse-Kiang sont encombrés de passagers indigènes ; on ne sait trop où ils vont ni ce qu’ils font ; ils semblent aimer à se déplacer dès qu’on leur en donne la possibilité et forment un gros élément de recettes que se disputent les compagnies de navigation. Sur le parcours de Shanghaï aux ports du nord, Tien-tsin et Newchwang, fermés en hiver par les glaces, les vapeurs des lignes rivales se livrent régulièrement à une course lors de la première traversée de la saison, parce que les propriétaires du premier arrivé ont chance d’attirer dans leur clientèle le plus grand nombre des Célestes. Les trains du chemin de fer de Tien-tsin à Pékin sont bondés également. Les avantages des administrations européennes sont aussi fort appréciés : trois cent mille Chinois vivent sur les concessions française, anglaise et américaine de Shanghaï, deux cent mille à Hong-Kong, habité seulement par quelques pêcheurs avant l’occupation anglaise, et toutes les grandes villes des colonies européennes voisines de la Chine, Vladivostok, Manille, Saïgon, Singapore, Batavia, sont, avant tout, des villes chinoises. Ils sont heureux d’avoir leurs propriétés et leur sécurité personnelle bien garanties, de ne pas être