souvenirs ou les remords d’Ahénobarbus ? Le meurtre de sa mère n’est plus désormais pour lui qu’un thème à divagations poétiques. Sa nature de pitre et de bouffon tragique peut s’y donner Libre carrière. Il fut un temps où sa conscience l’épouvantait, en raison même de sa lâcheté. Mais, le monde servile aplati comme hier à ses pieds, et les foudres vengeresses des dieux détournées de sa tête, il cherche, comédien qu’il est, à nous apitoyer sur la prétendue fatalité de ses destinées. Les furies le poursuivent ; il se relève la nuit ; il nous appelle, nous rassemble, et déclame les vers grecs du rôle d’Oreste, avec toutes les fausses attitudes d’un vulgaire histrion, épiant des signes d’admiration sur nos visages. Hélas ! nous l’admirons en effet. Au lieu d’engager ce fou à se remettre au lit, nous nous drapons du manteau tragique, nous défendons le divin artiste contre la fureur des Erynnies. Par les noms de Castor et de Pollux ! sais-tu que nous avons débuté à Naples ? Tous les meurt-de-faim, tous les gens sans aveu des environs s’étaient vus conviés à la fête. Oh ! ces relens d’ail et de sueur humaine qui empestaient l’arène ! Par bonheur, je me trouvais aux côtés de César, en arrière de la scène, tandis que les Augustiani occupaient les premiers rangs de l’hémicycle. Et il était ému, réellement ému, oui, par les Dieux ! il prenait ma main, la posait sur son cœur… et ce cœur palpitait… sa respiration s’oppressait ; des gouttes de sueur perlaient sur son front. Au moment d’entrer en scène, ses traits se couvrirent d’une pâleur mortelle. Ses prétoriens, armés de bâtons, occupaient pourtant toutes les issues, prêts à stimuler l’enthousiasme de l’assistance. Les bandes de singes des environs de Carthage ne hurlent pas avec plus d’entrain que cette canaille. Des odeurs nauséabondes nous arrivaient par bouffées ; et Néron saluait, envoyait des baisers du bout des doigts, frissonnait… pleurait ! « Que sont tous les triomphes du passé, comparés à celui qu’on vient de me décerner aujourd’hui ? » s’écria-t-il, quand nous l’eûmes tous rejoint sur la scène… La canaille hurlait, applaudissait, battait des mains, certaine de mériter ainsi les bonnes grâces du maître, de s’attirer ses libéralités… des festins, des billets de loterie, des jeux, de nouveaux spectacles. Pourquoi ces clameurs m’étonneraient-elles ? Ne vivons-nous pas en un temps de démence ? César exulte. « Voilà bien des Grecs, de vrais Grecs ! » répétait-il ravi. Sa haine envers les Romains et Rome n’a fait que redoubler depuis. Des courriers expédiés à la Ville vont y répandre la nouvelle du triomphe. Nous attendons un vote solennel d’actions de grâces au Sénat.
Excursion prochaine à Bénévent. Vanitius compte nous y éblouir par l’étalage de son faste, digne du mauvais goût d’un savetier. De là, nous cinglerons vers la Grèce, sous les heureux auspices des divins frères d’Hélène. Il n’y a rien de plus contagieux que la folie ! Je me surprends à trouver un certain plaisir dans ces insanités. La Grèce, les sons mélodieux des cithares et des flûtes berçant notre traversée, je