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par L’armée avec des cris d’enthousiasme. L’électeur de Wurtemberg le reçut avec une grande magnificence, et le logea à Louisbourg, qui est sa maison de plaisance. Le 5 nous quittâmes Stuttgart et marchâmes sur Ulm. Le 13 nous arrivâmes à Elchingen. J’y établis mon bataillon. Le temps était affreux, les vivres manquaient. Ce fut dans la matinée du 14 que le maréchal Ney réussit à franchir le Danube et à s’emparer du village. Sous une grêle de balles et de mitrailles, il s’avança jusqu’au bord du fleuve, et fit rétablir sous ses yeux le pont d’Elchingen, dont les travées avaient été enlevées, et dont les chevalets seuls avaient été maintenus. Quelques travées venaient à peine d’être rétablies, et le pont n’était pas encore consolidé, quand il s’élança de l’autre côté du Danube, et dispersa les Autrichiens qui gardaient la rive gauche. À la fin de la journée, il était maître de l’abbaye d’Elchingen, avait fait trois mille prisonniers et enfermé dans Ulm l’armée autrichienne. Nous fûmes chargés de garder le pont ; mais, le lendemain, le Danube, grossi par les pluies, monta subitement de plusieurs mètres et l’enleva. Nous fûmes inondés tout d’un coup dans notre bivouac. Le champ de bataille était encore couvert de morts et de blessés, et toutes les maisons et les granges du voisinage en étaient remplies. L’eau, qui montait toujours, gagnait les abris de ces malheureux, et, malgré nos efforts, il en périt un grand nombre. C’était un spectacle horrible. Quelques-uns, cloués au sol par d’affreuses blessures, poussaient des cris déchirans en voyant les flots monter jusqu’à eux. D’autres, moins grièvement blessés, essayaient de lutter quelque temps, mais bientôt, vaincus par la douleur et la fatigue, disparaissaient dans le fleuve avant qu’on ait pu leur porter secours. Nous manquions de tout absolument, et nous souffrîmes cruellement de la faim. »

Encore ces fatigues et ces privations ne furent-elles pas aussi pénibles pour Reiset que le fut pour lui, le mois suivant, un repos forcé où il se trouve condamné. Tandis que l’armée poursuivait sa route sur Vienne, il reçut l’ordre de se rendre à Neubourg et d’y passer l’hiver pour y établir des manèges et fournir des cavaliers aux escadrons.

« Nous y arrivâmes le 26 octobre, écrit-il à sa fiancée, et je fus Logé chez le comte de Reisach. Après avoir enduré toutes les fatigues, souffert de la famine et de toutes les intempéries, je me trouve toui à coup transporté dans une petite ville sur le Danube, où je dois rester sans soucis et sans dangers, mais inutile et