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le roi de Naples, au sujet de la saisie d’un bâtiment piémontais, le Cagliari, soupçonné d’avoir à bord des agens révolutionnaires[1]. « Nous sommes décidés, disait M. de Cavour au prince de la Tour d’Auvergne, à ne pas épouser les haines des Anglais contre les Russes. Pourquoi ménagerions-nous les intérêts et les susceptibilités de l’Angleterre ? Je ne fais, du reste, que me conformer aux conseils de l’Empereur, qui m’a dit à Plombières qu’il importait de rendre nos relations avec la Russie aussi amicales que possible. »

Le prestige de M. de Cavour était engagé dans l’affaire du Cagliari. Reculer devant le « roi Bomba » était s’amoindrir aux yeux de l’Italie. Cependant le Piémont ne pouvait rien contre Naples sans l’appui d’une grande puissance, et l’Angleterre, loin de l’appuyer, ne lui dissimulait pas qu’elle verrait un conflit avec le plus vif déplaisir. Aussi le roi Victor-Emmanuel s’était-il retourné vers la France, suivant son habitude, pour l’intéresser à sa querelle. M. de Cavour, de son côté, avait chargé M. de Villamarina de démontrer à l’Empereur combien il serait heureusement inspiré en prenant en main la cause italienne dans l’affaire du Cagliari. « Ce serait un coup de maître, disait-il, qui lui ferait autant de bien qu’à nous, car, ajoutait-il en touchant à un point vulnérable, les esprits en Italie, depuis l’attentat d’Orsini, sont toujours bien montés contre lui. Son intervention lui ferait gagner dans l’opinion publique tout ce qu’il y a perdu. Il est impossible qu’il ne le comprenne pas ! » C’est ainsi que M. de Cavour invoquait sans cesse soit les sympathies, soit le courroux que nous provoquions dans la péninsule. Si notre politique avait pu subordonner le sentiment à la raison d’État, elle ne se serait pas réglée d’après les fluctuations de l’opinion au delà des Alpes. Nous n’avions pas à nous préoccuper outre mesure de la bonne ou de la mauvaise humeur des Italiens ; leur délivrance nous était chère, mais elle ne devait pas être la principale de nos préoccupations.


G. ROTHAN.

  1. M. de Cavour prétendait que ce bâtiment avait été capturé en pleine mer exempte de toute juridiction ; il réclamait des explications, une indemnité et l’élargissement des prisonniers. Les mécaniciens du bateau étaient Anglais ; ils furent relâchés et indemnisés, sur la demande de la légation britannique à Naples. Si M. de Cavour en voulait à l’Angleterre, c’est parce que, malgré ses instances, elle avait disjoint ses réclamations des siennes.