qu’il leur recommandait surtout, c’était de se tenir sur la réserve avec les diplomates français.
« Je ne pense pas, écrivait-il au comte de Barral, son ministre à Francfort, qu’il soit utile de vous ouvrir sur nos affaires avec votre collègue, M. de Salignac-Fénelon. L’Empereur mène lui-même la question italienne. Il n’aime pas que ses agens, à commencer par Walewski, y soient initiés. En général, ils ne savent rien, et ce qu’ils rapportent le plus souvent n’est pas en notre faveur. »
Les instructions que M. de Cavour adresse à ses envoyés sont courtes, claires, sans apprêt littéraire ; il dit ce qu’il veut dire et rien de plus. Elles ne sont pas, comme celles de M. de Bismarck, rehaussées par des saillies humoristiques, par des traits mordans et des récriminations amères ; elles dénotent à la fois de la vigueur d’âme et de la puissance de caractère ; elles révèlent l’ancien officier du génie, rompu aux calculs des probabilités, et aussi le propriétaire terrien, adonné à l’étude des questions de finance et d’économie politique ; M. de Cavour va au fond des choses, calcule les chances, et livre le moins possible au hasard ; c’est un homme fort, qui ose et risque parce que d’avance il a fait ses comptes et pris ses précautions. Lorsqu’il a approfondi les situations et les hommes, il agit sans hésitations ; il s’applique à gouverner la fortune au lieu de se laisser mener par elle.
Ses regards ne se détournent pas de Paris. Le sort de l’Italie, la grandeur de la maison de Savoie et sa propre gloire dépendent de la volonté de l’Empereur. Des promesses ont été échangées, mais elles ne sont pas encore irrévocablement sanctionnées par un traité, et qui sait si Napoléon III, sous l’influence de ses conseillers, ne reculera pas, ou ne renverra pas à de lointaines échéances la réalisation des plans concertés ? Il est vrai que le ministre dispose, aux Tuileries, d’auxiliaires convaincus dont la voix est écoutée et parfois déterminante. Le prince Napoléon, aujourd’hui que son union avec la maison de Savoie n’est plus en question, ne permettra pas à son cousin de manquer à sa parole ; fidèle à la cause qui lui est chère, il saura vaincre les hésitations, conjurer les défaillances. Il le sollicite, le stimule, et, lorsque des difficultés surgissent et que les lettres ne parviennent pas à les résoudre, il lui dépêche son jeune secrétaire, M. Nigra, qui, ardent, infatigable, passe et repasse le Mont-Cenis. À quels argumens ce dernier a-t-il recours et quelles réponses rapporte-t-il