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devoir de lui laisser le soin de disposer librement de sa main.

L’Empereur a l’âme trop délicate pour faire de la main d’une princesse, à peine adolescente, l’objet d’un marché. Aussi se borne-t-il à faire comprendre qu’une union avec la maison de Savoie serait, de toutes, celle qu’il préférerait pour son cousin, et que, si le docteur Conneau, lors de sa mission à Turin, a évité d’en parler à Sa Majesté, c’est qu’il n’avait pas voulu faire une démarche sans être certain que son désir serait agréé.

M. de Cavour répond que son roi sera certainement surpris par la demande, car le silence gardé par le docteur Conneau l’autorisait à croire que l’Empereur n’attachait aucun prix aux ouvertures faites par M. Bixio. « Peut-être aussi, ajoute le ministre, sera-t-il fort embarrassé de répondre affirmativement, après certaines confidences que Sa Majesté lui a faites à Paris, en 1855, sur le prince Napoléon, lorsqu’il fut question de son mariage avec la duchesse de Gênes. » L’Empereur paraît ne pas se souvenir de ce qu’il a bien pu dire à Victor-Emmanuel, puis, après avoir bien cherché, il dit en riant : « C’est fort possible, il a dû m’arriver quelquefois de médire de mon cousin, car souvent il m’a mécontenté ; mais je ne l’aime pas moins tendrement, parce qu’il a d’excellentes qualités, et que, depuis quelque temps, il s’efforce de se concilier l’estime et l’affection de la France. Napoléon, ajoute-t-il, vaut beaucoup mieux que sa réputation ; il est frondeur, il aime la contradiction, mais il a beaucoup d’esprit, pas mal de jugement, et un cœur excellent. »

Le comte de Cavour, en reproduisant dans son rapport le portrait que l’Empereur lui fait de son cousin, l’apostille chaleureusement : il y ajoute même quelques coups de crayon chatoyans, faits pour vaincre les derniers scrupules du plus galant et du plus indulgent des rois.

Dans la soirée, l’Empereur reprend l’entretien : « Je comprends, dit-il, qu’il répugne à Sa Majesté de marier sa fille si jeune ; aussi je n’insiste pas pour que le mariage ait lieu de suite ; je suis tout disposé à attendre un an et plus, s’il le fallait. Tout ce que je désire, c’est de savoir à quoi m’en tenir. Aussi, veuillez prier le roi de consulter sa fille et de me faire connaître ses intentions d’une manière positive. S’il consent au mariage, qu’il en fixe l’époque ; je ne demande d’autre engagement que notre parole réciproquement donnée et reçue. » — « Là-dessus, écrit le ministre, nous nous sommes quittés ; l’Empereur, en me congédiant, m’a serré la main