Mais l’entreprise, dit-il, ne sera pas moins périlleuse. Les guerres de l’Empire ont prouvé que les Autrichiens étaient résistans : Napoléon a eu beau les battre pendant quinze ans, il les a toujours retrouvés sur les champs de bataille, prêts à recommencer la lutte. Pour amener l’Autriche à renoncer à l’Italie, des batailles gagnées dans les vallées du Pô et du Tagliamento ne suffiront pas ; il faudra nécessairement pénétrer dans les confins de l’empire et, l’épée sur le cœur, c’est-à-dire à Vienne, la contraindre à signer la paix. Pour en arriver là, des forces considérables seront nécessaires, 300 000 hommes au moins. Avec 100 000 hommes, on bloquera les places fortes du Mincio et de l’Adige, et l’on gardera les passages du Tyrol. 200 000 hommes marcheront sur Vienne par la Carinthie et la Styrie. La France mettra en ligne 200 000 combattans, la Sardaigne, avec les volontaires italiens, 10 0 000. L’armée française fera de la Spezzia sa grande place d’armes ; elle manœuvrera spécialement sur la droite du Pô et forcera les Autrichiens à se retirer dans leurs forteresses. Il y aura deux armées, dont l’une commandée par le Roi et la seconde par l’Empereur. Non seulement les susceptibilités militaires de Victor-Emmanuel sont sauvegardées, mais le gouvernement français lui fournira le matériel dont il pourrait avoir besoin, vingt-quatre batteries d’artillerie, et il lui facilitera à Paris l’émission d’un emprunt. Tels sont, d’après le récit du ministre sarde, les arrangemens intervenus : nous aurons les gros risques et le Piémont aura les gros bénéfices.
Après deux longues conférences, avant et après le déjeuner, de trois heures chacune, l’Empereur fait monter son hôte dans son phaéton et le conduit dans les bois. À peine sortis des rues de Plombières, il lui parle du mariage de la princesse Clotilde avec son cousin : M. de Cavour y est de longue main préparé. M. Bixio ne lui a pas caché l’importance qu’on y attachait à Paris. L’assentiment du Roi n’est pas douteux ; il l’a emporté de Turin, sous la réserve, il est vrai, de ne s’engager que si le mariage devait être la condition sine qua non de l’alliance. Fidèle à ses instructions, il s’applique à ne pas livrer du premier coup le gros atout qu’il tient dans son jeu. Il se dit partisan résolu de l’union de la maison impériale de France avec la maison de Savoie ; il y voit un gage précieux pour l’intimité et la perpétuité de l’alliance. Mais le Roi, tout bien disposé qu’il soit, a des scrupules ; sa fille est à peine nubile, et en père affectueux il s’est fait un