était l’homme, peint à grands traits, sur un modèle des temps passés, avec lequel l’Empereur, faible rêveur, allait débattre, sans confident, loin de tous regards, les desseins qu’il caressait et qui dans sa pensée devaient du même coup assurer l’affranchissement de l’Italie et la grandeur de la France.
Le comte de Cavour se conforma strictement au programme qui lui était tracé. « Son visage ne trahit aucune émotion, il n’excita le soupçon de personne, son dessein ne se dévoila que lorsqu’il fut accompli. » Il donna le change à ses meilleurs amis ; pour les dérouter, il dépassa même la mesure, en protestant, sans y être forcé, contre toute idée d’aller en France et en maudissant la politique. « Si j’allais en France en ce moment, écrivait-il à Mme de Circourt, le 15 juillet, à la veille de son départ, mon voyage donnerait lieu à des commentaires ; j’irai en Suisse respirer l’air frais des montagnes, loin des hommes qui ne pensent qu’à la politique. » Et à peine cette lettre était-elle expédiée qu’il se mettait en route et s’appliquait, en franchissant les Alpes, à faire perdre sa piste. « J’ai passé par Chambéry, écrivait-il à un de ses collègues du ministère, et j’ai eu la chance de n’y être pas sifflé ; c’est tout ce que je pouvais espérer. » Le 20 juillet, il arrivait à Plombières : l’Empereur lui fit un chaleureux accueil et le retint à déjeuner. L’entretien s’engagea sur l’heure ; il fut repris en sortant de table. Vers le soir, l’Empereur fit monter son hôte à côté de lui dans son phaéton et l’emmena dans les bois, loin de toute oreille indiscrète. Ce fut au cours de ce tête-à-tête qu’ils échangèrent leurs idées et concertèrent leurs plans. Napoléon III, si renfermé avec ses entours, témoigna au ministre piémontais une confiance sans limites ; il se livra à lui sans restrictions, lui traçant la marche à suivre pour pousser l’Autriche dans ses derniers retranchemens et lui laisser l’odieux et la responsabilité de l’agression. Tout fut convenu entre eux, jusqu’à l’organisation des comités révolutionnaires ; on arrêta les conditions de l’alliance.
Confiant en son étoile et se croyant de force à diriger les événemens au gré de sa volonté, Napoléon III s’engagea à défendre le Piémont contre les attaques de l’Autriche et à laisser se constituer au nord de la péninsule, au profit de Victor-Emmanuel, un État de dix millions d’habitans. L’Italie affranchie jusqu’à l’Adriatique devait former une confédération sous la présidence honoraire du Pape. Il eut soin toutefois de se réserver le choix du moment, car il n’entendait pas subordonner sa politique et son