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dans tous les cœurs généreux l’Autriche et le Pape, ne sauraient concevoir qu’il en fût autrement. Des Romagnols modérés m’ont dit, hier, que cette lettre aura dans leur pays un retentissement énorme et pour effet certain de populariser l’idée du régicide. La position faite à Orsini par l’Empereur lui-même rend notre tâche cent fois plus difficile. Comment combattre avec succès l’apologie du régicide, lorsqu’on France, on s’étudie à le rendre intéressant par des moyens autrement efficaces que les mauvais articles des journaux ? Le Roi est très affligé de cette malencontreuse publication et des embarras qu’elle va créer à son gouvernement. »

Le mystère ne tarda pas à s’éclaircir. Peu de jours après, l’Empereur fît communiquer à M. de Villamarina, avec prière de les transmettre à son ministre, tous les papiers d’Orsini et entre autres une seconde lettre, sous forme testamentaire, que le condamné avait écrite en apprenant, peu d’instans avant l’expiation suprême, l’insertion au Moniteur de sa première supplique. « La publication de ma lettre, disait Orsini, est une preuve de la générosité de V. M. Elle me prouve que les vœux qui y sont exprimés en faveur de ma patrie trouvent un écho dans son cœur. Les sentimens de sympathie de V. M. pour l’Italie ne sont pas pour moi une mince consolation avant de mourir. Dans quelques heures je ne serai plus, mais, avant de rendre le dernier souffle vital, je veux qu’on sache que l’assassinat, de quelque voile qu’il se couvre, n’entre pas dans mes principes, bien que, par une fatale aberration mentale, je me sois laissé entraîner à organiser l’attentat du 14 janvier. Que mes compatriotes, au lieu de recourir au système de l’assassinat, le rejettent loin d’eux, qu’ils sachent que la rédemption ne peut être conquise que par L’abnégation, par une constante unité d’efforts, de sacrifices, qualités qui seules peuvent rendre l’Italie libre et indépendante[1]. »

Le ministre piémontais ne se méprit pas cette fois sur la pensée secrète de Napoléon III : ce n’était pas pour son édification personnelle que les papiers du supplicié lui avaient été communiqués, mais pour servir d’enseignement à l’Italie, pour la

  1. Orsini fut exécuté le 13 mars, malgré les pressantes sollicitations de l’Impératrice. Lorsqu’il apprit qu’elle intercédait en sa faveur, il se crut sauvé. « Ma tête est trop belle, disait-il, pour qu’on la fasse sauter. » L’Empereur penchait pour la clémence. Mais l’attentat avait fait trop de victimes pour qu’il pût assumer la responsabilité de l’impunité, il s’en remit au Conseil privé, auquel furent convoqués les grands dignitaires de l’État.