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en communiquant cette lettre combien notre conduite a toujours été franche, loyale. Certes, si le gouvernement avait eu la moindre pensée révolutionnaire, Orsini eût été un agent précieux. Si nous n’avons pas accepté ses offres, c’est qu’alors comme à présent, nous ne voulions combattre l’Autriche et défendre la cause italienne qu’avec des aimes honnêtes et avouables[1]. » Ces nobles protestations, il devait les oublier à peine formulées, car, peu de semaines après, il écrivait àM.de Villamarina : « Donnez à entendre à Klapka que je suis revenu de mon voyage (à Plombières) très préoccupé de la question d’Orient ; que j’en ai rapporté la conviction que tôt ou tard elle amènerait une collision entre la France et l’Autriche ; que, par conséquent, il faut envisager l’éventualité d’une guerre ; qu’il faut que l’Italie et la Hongrie s’y préparent et se mettent d’accord pour s’assister réciproquement ; vous amènerez Klapka à énoncer le désir de venir causer avec moi et vous l’encouragerez à venir à Turin[2]. » Conférer avec Klapka pour préparer le soulèvement révolutionnaire de la Hongrie, ce n’était peut-être pas bien rigoureusement « combattre l’Autriche et défendre la cause italienne avec des armes avouables. » Il est heureux pour les hommes d’État que les philosophe aient imaginé la théorie des deux morales !

Aux tourmens patriotiques du ministre piémontais s’ajoutaient des préoccupations personnelles. Il appréhendait qu’à Paris, on ne complotât sa chute. Ses correspondances traduisent ses craintes : « Si je ne savais pas, écrivait-il au marquis de Villamarina, que la colère est mauvaise conseillère, les discours que vous a tenus Walewski m’en eussent convaincu ; ses reproches sont sans fondement ; nous avons pris des mesures bien autrement énergiques que les Belges et les Suisses : il est possible qu’on veuille me perdre, mais on ne me rendra pas inconséquent avec mes principes. Je vous préviens que La Tour d’Auvergne est très

  1. La sympathie que Cavour manifeste pour Orsini dans cette Lettre, il la reportera sur sa veuve après son exécution, dès qu’il sera sûr de connaître les sentimens intimes de l’Empereur. Ne t’inquiète pas de ma sollicitude pour la veuve d’Orsini et de la pension que je lui paye, écrit-il au général La Marmora, qui craint qu’on ne s’en offusque à Paris ; qu’elle reste ou qu’elle s’en aille, peu importe, le ton et les sentimens du gouvernement français à notre égard sont aujourd’hui entièrement changés. L’entente la plus cordiale a succédé à l’injuste défiance suscitée contre nous. Nous avons auprès de l’Empereur un ami dévoué, le docteur Conneau. »
  2. Lettere edite ed inedite di Camillo Cavour raccolte ed illustrate da Luigi Chiala.