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plusieurs autres écrites par lui à sa mère, et que celle-ci lui avait transmises. C’est d’elle que proviennent les quarante lettres inédites de Carlyle qu’a récemment publiées un critique américain, M. Charles Townsend Copeland, dans l’Atlantic Monthly de Boston, et dont la publication me paraît avoir assez d’importance pour mériter d’être signalée aux lecteurs français.


Non que ces lettres nous renseignent beaucoup sur l’œuvre de Carlyle, ni qu’elles puissent nous aider à la mieux comprendre. Ni à sa sœur, ni même à sa mère — qui pourtant avait appris à lire pour lire ses livres — Carlyle ne parlait volontiers de ses travaux littéraires. Il réservait ses confidences d’auteur à ses amis, à qui, en revanche, il les prodiguait : et tandis que devant Édouard Irving, devant Emerson, devant Sterling il se lamentait, en de longues lettres, sur le supplice quêtait pour lui la moindre phrase à écrire, ses lettres à sa sœur et à sa mère nous apportent à peine, de loin en loin, un écho très adouci de ses doléances. Tout au plus annonce-t-il parfois à sa mère que « son maudit livre ne veut pas marcher » ou qu’il « lutte en désespéré pour mettre son livre sur pied, » mais qu’il « craint bien de n’y pas réussir. » On croirait même qu’il s’efforce de lui cacher sa souffrance, pour l’entretenir seulement de ses succès et de ses espoirs. « Le petit article de revue que je vous ai envoyé, — lui écrit-il le 8 janvier 1842, — est en train de mener grand bruit. La dernière page a été reproduite dans beaucoup de journaux avec des commentaires de toute sorte : ce dont, au reste, je ne me plains pas. J’ai dit la vérité ; celle-ci, étant vraie, ne peut être que bonne, — qu’elle plaise ou non à entendre ; — et, dans ces conditions, pourquoi me plaindrais-je de la voir se répandre ? » Une autre fois, le 6 décembre 1848, il écrit à sa mère : « Vous me recommandez d’invoquer la patience, pour ce livre que j’écris. Chère mère, c’est le conseil le meilleur, le seul bon conseil qu’on puisse me donner. Et en effet j’invoque la patience, et parfois elle vient ; et si nous continuons à appuyer l’épaule contre la roue, nous finirons certainement par nous désembourber. La chose, d’ailleurs, marche, ou promet de marcher, un peu mieux. Mais elle est terriblement difficile, et me prendra, je crois, beaucoup de temps encore. Cependant j’ai nettement décidé qu’elle était utile, et digne d’être faite par moi : de sorte que je vais m’obstiner à la faire, sans m’occuper de savoir si la récompense terrestre que j’en aurai sera grande ou petite, ou même si elle ne sera rien du tout, avec des injures pour moi pardessus le marché. S’il n’y avait pas quelque chose de plus sérieux,