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tout le monde avait dit avant lui, et rend sa démonstration trop facile, partant trop dénuée de portée. Au cours des pièces de M. Brieux, nous ne rencontrons pas un type solide, en qui s’incarne l’idée de l’auteur, et qui plus tard s’évoquera devant notre souvenir, rien de ce qui fait qu’un auteur met sa marque sur un sujet. Après les pièces de M. Brieux comme avant, les sujets qui y sont abordés restent à traiter. Ils restent entiers, à la disposition de qui voudra se les approprier. Aucune pièce n’a provoqué ce mouvement de discussion qui métaux prises partisans et adversaires des idées de l’auteur. Les idées, ici, échappent, non par ce qu’elles ont de trop nuancé, mais plutôt par ce qu’elles ont de trop simple. Il ne viendrait à l’esprit de personne de passer en revue les idées de M. Brieux. Et sans doute un auteur dramatique n’est pas tenu d’avoir des idées, sauf pourtant lorsqu’il fait du théâtre d’idées. M. Brieux se contente de la sagesse du bonhomme Richard, qui d’ailleurs a son prix. Tour à tour violent ou généreux, amer ou consolant, j’imagine que M. Brieux est pessimiste parce qu’il a passé par le Théâtre-Libre, mais que le fond chez lui est fait de cette belle humeur commune à tous ceux qui sont bien portans, actifs, laborieux et qui ne se perdent pas en des rêveries de songe-creux. Ce qu’il y a dans ses conceptions d’un peu insuffisant se traduit par la langue qu’il fait parler à ses personnages. C’est la platitude même. Par-là, on voit bien quel est le défaut de M. Brieux : c’est qu’il est trop peu un écrivain et qu’il est trop dépourvu des qualités qui font le lettré.

On confond volontiers la littérature avec ses raffinemens et les qualités littéraires avec les ornemens du style. C’est une confusion que beaucoup de gens sont intéressés à accréditer. L’écrivain est celui qui, grâce à un ensemble de moyens que lui fournit justement la littérature, sait apercevoir dans un sujet ce qui vaut la peine d’être dit et laisser de côté tout le reste, exprimer pleinement une pensée qui est la sienne. Il pénètre assez avant dans une question pour découvrir ce qui lui donne un intérêt général, et il revêt ces idées générales d’une forme personnelle. Il se sert pour les exprimer de la langue de tout le monde ; mais il y met son empreinte. Il faut, pour devenir un écrivain, une préparation spéciale, certains dons, du loisir et de la volonté. Cela fait beaucoup de conditions, et il est naturel qu’elles se trouvent assez rarement remplies. On sait d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’être un écrivain pour faire du théâtre et pour y réussir. Le théâtre, qu’une énorme consommation oblige à une production incessante, ne se rencontre que par accident avec la littérature. Je remarque seulement que cet accident ne s’est pas encore produit pour le