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mariage. Sensiblement plus âgé qu’elle, M. de Girieu n’a rien d’un jeune premier ; mais il a le sérieux, la loyauté, la profondeur des sentimens et enfin tout ce qui ne rentre pas dans la catégorie des qualités aimables. Le nouveau ménage pourrait être uni, cordial, confiant, s’il n’y avait entre M. et Mme de Girieu l’enfant du premier lit, Julien. Sa présence met entre les deux époux une secrète mésintelligence, une sourde hostilité. Les questions relatives à son éducation sont l’origine d’un désaccord qui ne peut aller qu’en s’accentuant. Cet enfant est le portrait frappant de son père. C’est pourquoi M. de Girieu le prend en haine. Et il a beau faire, essayer de se raisonner et de se maîtriser : ça se voit. Ce berceau est le berceau de la discorde. Or, Julien tombe malade. Son père, M. Chantrel, obtient de venir le soigner. Voici la femme divorcée et son premier mari l’un auprès de l’autre, ou plutôt l’un et l’autre auprès d’un même berceau. Ils sont réunis par une même inquiétude pour cet enfant qui est leur enfant. On voit alors combien le lien formé par une commune sollicitude est plus fort que tout autre. Que signifient les textes de loi, la décision des tribunaux, les arrangemens des notaires pour les deux êtres qui veillent au chevet de l’enfant ? Que vient faire M. de Girieu entre ce père et cette mère ? De quel droit est-il ici ? Quel est cet étranger ? Quel est cet intrus ? La situation est vraiment saisissante et traduit l’idée sous forme sensible. Le berceau qu’on ne voit pas est sans cesse présent à notre esprit. L’enfant est le principal personnage. Rien ne se fait et ne se dit qui n’ait rapport à lui. Aussi l’impression que nous recevons est-elle une impression de drame.

À partir du second acte, la pièce dévie et dévie si bien qu’elle s’en va à vau-l’eau. Nous pensions qu’on nous ferait assister aux aventures de ce berceau ballotté d’une maison à l’autre, secoué, tiraillé, déchiqueté. Il semblait que l’intérêt dût se porter sur cet enfant pour qui la désunion de ceux qu’il aime pareillement sera une blessure toujours saignante. Car c’est bien cela qui est atroce dans la situation de l’enfant dont les parens sont divorcés. Il est obligé de partager son cœur. Il est amené par les circonstances à juger ceux qu’il est de son devoir de ne pas juger. Et plus tard il ne retrouvera pas dans ses souvenirs cette vision du foyer, image palpable de l’union de la famille, qui reste pour chacun de nous en dehors et au-dessus des spectacles déprimans de la vie, et d’où nous vient le meilleur de notre force. C’est là une injure de la destinée, plus réelle que cette vague fatalité contre laquelle déclamaient les héros romantiques. Le sujet vaudrait la peine d’être traité ; M. Brieux ne s’en est pas soucié. La maladie de l’enfant