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pour payer les erreurs d’autrui, c’est l’enfant. Du sort de l’enfant doit jaillir tout le pathétique d’un drame contre le divorce. Ce que je viens de dire nous permet dès maintenant d’apercevoir ce qu’il y a tout à la fois d’intéressant et de décevant dans la pièce de M. Brieux.

En portant à la scène une protestation contre l’abus du divorce, M. Brieux y a sans doute porté une question actuelle autant qu’un problème passionnant ; car les débats sur le divorce sont, à l’heure qu’il est, redevenus d’actualité autant qu’ils pouvaient l’être il y a vingt ans. En donnant pour titre à sa pièce le Berceau il a montré qu’il comprend bien qu’en effet tout le débat doit tourner autour des intérêts de l’enfant. La thèse qu’il exprime en maint endroit de sa pièce est très forte, parce qu’elle est précise et mesurée. Dès le début c’est lui qui parle par la bouche d’un de ses personnages, le docteur, et qui indique exactement la portée de son argumentation. On lui demande s’il n’est pas partisan du divorce. « Si, certes, si. Mais je fais mes réserves. Je voudrais qu’on le rendît plus difficile, et presque impossible lorsqu’il y a des enfans… À la rigueur on peut rompre un mariage : on ne devrait pas pouvoir désunir une famille, laisser aller le père ici, la mère là, et abandonner l’enfant au milieu de ces ruines. » Laurence, la divorcée, fait de la façon la plus instructive l’historique de son divorce. Quand elle a quitté son mari qui l’avait trompée, on s’est bien gardé de laisser les voies ouvertes à la réconciliation. La famille, le monde, les amis se sont interposés entre les deux époux, et pour les mieux séparer. On a plaint la femme offensée, on l’a encouragée à résister, à ne pas céder, à ne pas pardonner ; on l’a félicitée pour sa belle attitude et pour son courage. Et, éclairée par son expérience, elle adresse à ses contemporaines cette leçon qu’elle les adjure d’entendre : « Je voudrais le crier à toutes celles qui sont aujourd’hui ce que j’étais alors : Faites ce que vous voudrez si votre union a été stérile, mariez-vous, démariez-vous, vous êtes libres et vous ne pouvez faire de mal qu’à vous-mêmes. Mais si vous avez un enfant, vous n’avez pas le droit de détruire la famille fondée pour lui. Vous n’en avez pas le droit. Vous serez malheureuses ? Tant pis ! L’avenir d’un enfant vaut bien le bonheur d’une mère. » C’est la morale du sacrifice élevant la voix contre l’instinct égoïste du bonheur ; — si tant est que de se sacrifier pour un enfant mérite le nom de sacrifice.

Il y a dans le Berceau des tirades d’un assez beau mouvement ; il y a même un bon premier acte. Laurence, trompée par son mari, M. Raymond Chantrel, a divorcé. Elle a épousé en secondes noces M. de Girieu, qui l’aime depuis longtemps et même l’avait jadis demandée en