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ce casuel est temporaire et limité à la belle saison ; encore les gardiens des Isolés de pleine mer, inabordables au tourisme élégant, n’en connaissent-ils point la douceur.

On pourrait croire, tout au moins, en raison de la médiocrité des salaires et du danger continuel où sont exposés ces braves gens et qui passe celui de la navigation côtière, que l’État les admet au bénéfice de la « faveur d’âge » accordée aux inscrits maritimes. Ceux-ci ont droit à leur pension de retraite après vingt-cinq ans de service : les gardiens de phare n’y ont droit qu’après trente ans, comme dépendant du ministère des Travaux publics, qui les assimile aux cantonniers. Soumis à une surveillance rigoureuse, punis en cas de négligence par des peines, dont la moindre est la retenue du salaire sur la moitié de leurs émolumens pendant deux mois, ils se doivent à l’État même à terre et dans l’intervalle de leurs fonctions ; l’obligation de la résidence n’existe pas seulement pour eux pendant leur séjour dans les Isolés ; elle est de règle encore sur le continent, et il leur faut habiter la ville ou le village que l’administration désigne comme port d’attache au baliseur des ponts et chaussées chargé de la relève et du ravitaillement des phares.

Cette résidence, pour les gardiens des Côtes-du-Nord, est au bourg de Lézardrieux où se trouvent le parc de balisage et le port d’attache du baliseur. Campée sur la rive gauche de ce magnifique Trieux qui a, en cet endroit, la largeur et la majesté des fleuves américains, au flanc d’une colline violette lisérée de goémons noirs, la petite ville s’attarde quelque temps autour d’une pauvre église sans caractère et dévale brusquement, par une rampe à pic, dans la verte échancrure de Traou-an-dour. Une simple cale et quelques enrochemens feraient de Traou-an-dour un port très présentable ; on y songe, je crois. En attendant, les arbres trempent dans le fleuve et les barques s’y amarrent, à mer haute, pour décharger le goémon ou le sable qu’elles rapportent de Plougrescant et de l’île d’Er. L’éperon de roc qui garde Traou-an-dour vers le large n’est séparé lui-même de la Roche-Donnant que par une étroite coupure. Cette roche singulière hérisse son échine abrupte au milieu du fleuve et, derrière la barricade naturelle qu’elle oppose à la lame et aux vents, une vieille frégate désaffectée achève placidement sa carrière près de l’ancien bateau-feu des Minquiers : la frégate sert de magasin de ravitaillement aux torpilleurs de la défense mobile ; le bateau-feu remplit la même