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vetage, et la précaution n’est pas superflue : le cartahut peut se rompre, une lame peut rafler en plein air le transbordé.

D’autres dangers l’attendent à l’intérieur même du phare et jusque dans son service de jour. Gare aux vertiges, aux éblouissemens, à la maladie ! Chaque phare est pourvu d’un coffre à médicamens ; mais la plupart des gardiens n’ont aucune notion sur l’emploi de ces médicamens. Dans la salle basse des Triagoz, Corre jouait aux dames avec son gardien-chef. Il le quitte un moment pour les besoins du service, rentre, trouve son compagnon qui semblait dormir et le frappe à l’épaule : l’autre lui reste dans les bras et succombe quelques instans après. Des sinapismes l’auraient probablement sauvé. En plusieurs phares, l’aménagement intérieur laisse fort à désirer : aux Roches-Douvres, à la Nouvelle-Calédonie, par exemple, l’étroit escalier qui mène à la lanterne est flanqué des deux côtés par le vide : la rampe n’arrive qu’à mi-corps ; un faux pas est mortel. Jean Mével, gardien aux Roches-Douvres, qui venait de finir son quart de nuit, tomba de la sorte, le 6 janvier 1893, dans la cage de l’escalier et se tua net. Ses compagnons le roulèrent dans un prélart et firent au matin les signaux de détresse. Mais le vent n’était pas maniable ; quinze jours durant, les approches des Roches-Douvres furent interdites au baliseur des ponts et chaussées. On imagine aisément la vie des deux compagnons pendant ces quinze jours. Sur un carnet de notes tenu par l’un d’eux, aujourd’hui gardien aux Sept-Îles, j’ai copié ce qui suit et qui en dit long dans sa sécheresse de schéma : « Le 7, fait un cercueil ; rien en vue, lancé deux fusées. Le 8, il est passé un vapeur et une goélette ; le pavillon était en berne ; le 9, deux bateaux de Cancale étaient en vue : fait des signaux, lancé une fusée à l’allumage, mis la cloche en marche. Le 10, aucun navire en vue, fait des signaux au démasquage. Le 14, un sloop est passé près du phare, se dirigeant sur Lézardrieux, qui a dû voir les signaux. Le 12, à 9 heures, lancé quatre fusées, mis le pavillon en berne. Un Danois est passé près du phare se dirigeant sur le Trieux. Le 13, le 14, le 15, le 16 et le 17 renouvelé les signaux, rien en vue. Le 18, passé deux dundees et un yacht-sloop ; vers 11 heures du matin mis le pavillon en berne. » Le 20 seulement une petite fumée tacha l’horizon : c’était le baliseur. Les signaux n’avaient pas toujours été aperçus et c’est une remarque que, pour les signaux de jour tout au moins, le pavillon en berne ne se lit pas suffisamment. Il faisait gros temps, alternant